Le fils de pub a (mal) vieilli…

M. Le Forestier – Je veux quitter ce monde heureux

Je le confesse sans fausse honte, je suis ce qu’on appelle un téléphage et je ne boude jamais – ou presque – mon plaisir, même lors des pauses pub. Je faisais d’ailleurs le désespoir de mes parents quand j’étais gamin : ils constataient avec consternation que je retenais tellement facilement les musiques ou les slogans des « réclames » (comme on disait encore dans les années 60)… Si seulement j’avais manifesté la même aisance pour apprendre les tables de multiplication ou les règles de grammaire…
Je n’ai pas fondamentalement changé et encore aujourd’hui je reconnais facilement les pubs diffusées à la télé… Il peut m’arriver de chantonner la musique d’un spot alors que je viens de quitter mon fauteuil pour un pipi-minute. Mon coup de cœur du moment c’est la pub Chanel qui a ressorti de la poussière la chanson Follow me d’Amanda Lear. La voix grave d’Amanda posée sur cette musique électro-disco avec plein de reverb m’enchante…
J’aime aussi beaucoup la pub Twix dans laquelle deux scouts détaillent le craquant et le moelleux de la friandise pendant que deux ours, dans les fourrés derrière eux, utilisent les mêmes arguments pour détailler le plaisir envisagé à l’idée de croquer ces deux humains… C’est efficace, bien trouvé avec ce qu’il faut d’humour (noir) et de non-dit pour que ça marque.
Mais il y a également des pubs qui me chiffonnent. Je dirais même qui me choquent? Aurais-je enfouie au fond de moi une sensibilité gaucho-humaniste ?

Premier exemple.
Il y a cette dame qui rentre chez elle alors que l’orage menace, et pendant qu’elle cherche dans son sac ses clefs, elle prend conscience qu’elle a oublié d’acheter du lait. La voix off assène « vous avez encore oublié le lait et vous n’avez pas envie d’y retourner. Faites vous livrer ! » Ben oui, on ne va pas risquer de ruiner le brushing et puisqu’on a de la thune, autant payer pour qu’un pauv’gars se fasse tremper à sa place… Le pauv’gars en question évidemment livre la dame, avec le sourire, « en quelques minutes ».

Tout est à gerber dans ce spot. La nana, c’est une européenne blonde. Le livreur c’est un mec typé. L’argent permet à la nana de préserver son petit confort bourgeois, de faire exécuter les trucs emmerdants par un mec qui n’est pas du même milieu social, et toute cette mascarade aux relents d’esclavage moderne se fait via une appli, en un claquement de doigts, parce qu’en plus, on ne fait pas attendre la dame qui a de l’argent… Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu la lutte des classes mise en scène de façon aussi décomplexée et insidieuse.
D’ailleurs – même si je ne suis pas client de ces sites de service de livraison à la personne – je me suis toujours demandé s’il fallait accepter de signer les pétitions qui dénoncent « l’uberisation » du travail au risque de mettre au chômage des jeunes gens pour qui se faire exploiter de la sorte reste peut-être le seul moyen de (sur)vivre. Défendre un principe ou défendre le droit au travail, le droit à la dignité ? Comment trancher ? Où est la limite entre le « petit boulot » et l’esclavage ? Pour le moment j’y ai répondu (ou pas) en ayant le choix de ne pas avoir besoin de solliciter ces plateformes de livraison…

Deuxième exemple.
Petite réunion de brainstorming dans une boite de téléphonie dont la patronne est heureuse de proposer un forfait à 15,98€ alors que le concurrent affiche un prix de 15,99€. Mais « je ne vous cache pas que pour y arriver il va falloir faire quelques sacrifices… » et s’adressant à un employé, devant l’assemblée qui applaudit « donc voilà, Marc… Tu es le sacrifice ! Il faut que tu partes. Allez tout le monde, on dit au revoir à Marc ! »

Je ne sais pas qui a eu cette idée de mette en scène un licenciement de façon aussi cynique et brutale. Je ne dis pas que cette situation est « caricaturale » car on a déjà entendu ici ou là parler d’employés qui ont été licenciés par SMS. Pas besoin d’aller chercher chez Elon Musk. On a vécu ça en France à plusieurs reprises… Je ne sais pas qui a eu cette idée, mais je me demande aussi comment le patron de Free a pu valider l’idée et trouver acceptable qu’on s’amuse du chômage… Rire avec le licenciement, pas dans un sketch qui se servirait de l’humour noir pour dénoncer une situation, non, en rire avec décontraction et en faire finalement – puisque c’est une pub multi-diffusée et déclinée dans plusieurs versions – un élément du « politiquement correct » en cours dans notre monde.

Ces deux spots de pub sont-ils vraiment le reflet de notre époque et d’un glissement de plus en plus flagrant vers une idée que je croyais appartenir au 19ème siècle. L’humain (re)devient de façon flagrante la variable d’ajustement de l’économie. Dans le système capitaliste ça a évidemment toujours été le cas. Mais le fait que ce soit assumé d’une façon aussi décomplexée me sidère.

Finalement je suis heureux d’avoir déjà vécu la plus grande partie de ma vie… Je suis né et j’ai vécu mon enfance dans une période d’innocence, de légèreté et où se projeter dans l’avenir (on parlait de l’an 2000 comme d’un horizon radieux) faisait partie d’un quotidien serein. Mes parents avaient connu la guerre, ils pouvaient donc éduquer leurs enfants en positivant et en dédramatisant. J’ai eu la chance de passer au dessus de la crise pétrolière et l’inflation à deux chiffres, au dessus l’irruption de l’aggravation du chômage, de toutes ces épées de Damoclès économiques en devenant – par choix – fonctionnaire après avoir fait des études qui m’intéressaient avant d’être la clé obligée de mon avenir professionnel. J’ai eu la chance de voir des évolutions sociétales qui étaient des avancées. J’ai eu la chance de m’épanouir avec le sentiment que tout ou presque était possible. Les pubs qui m’ont accompagné c’était la pub pour les chamallows (les bons gros bonbons tendres), c’était la pub pour les « chevrons sauvages » de Citroën , c’était la pub « quand c’est trop c’est Tropico », c’était « tu baguenaudes dans les pâturages, Belle des Champs », c’était des pubs qui reflétaient la magie du plastique, de l’essence facile et du jetable, qui glorifiaient la société de consommation débridée, des pubs qui reflétaient le sexisme/machisme de la société, certes,… mais qui véhiculaient également une insouciance et une légèreté qui étaient révélatrices d’un hédonisme je-m’en-foutiste tellement plaisant à vivre dans l’instant.

Bien sûr aujourd’hui on sait combien ces comportements ont été le terreau de nombre de problèmes d’aujourd’hui. Il est devenu difficile d’être léger et insouciant. Mais doit-on ajouter le cynisme aux problèmes qui s’accumulent ?

Oui… je suis bien content d’avoir déjà vécu la plus grande partie de ma vie. Le futur est (potentiellement) désespérant. J’aimerais tant que les agences de pub nous concoctent à nouveau des pubs idiotes qui fassent rire ou rêver…

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Ships that pass in the night (D. Essex)

David Essex – Ships that pass in the night
Pour une fois, je mets la musique en introduction parce qu'elle accompagne magnifiquement l'état d'esprit qui était le mien en écrivant ce billet. Après tout Brett Easton Ellis et Maxime Chattham partagent les playlists qui ont accompagnées l'écriture de leurs livres… Héhé

J’ai parfois un rapport au temps assez spécial…
Je crois que c’est la deuxième fois que je ressens ce sentiment de vide, cette idée horizon temporel sans but, sans échéance et sans étape. Je ne sais pas quoi faire de mes journées et – d’une certaine façon – j’ai le sentiment d’avoir « perdu » un mois de ma vie depuis mon dernier billet. Le sentiment d’être comme un bateau de papier ballotté par un ruisseau. Un bateau qui n’a d’autre issue due de finir dans un caniveau et de disparaitre englouti dans une grille d’égout car il n’est pas taillé voguer fièrement sur la mer…

La première fois que j’ai ressenti ça, c’était en 2006 quand l’Éducation Nationale m’avait mis au ban de l’institution pendant 6 mois et que je n’avais d’autre solution que de gaspiller le temps libre qu’on me forçait à prendre. Entre février et août 2006 je tournais en rond, sans but avec cependant la certitude de pouvoir reprendre pied – pour ne pas dire de reprendre vie – à la rentrée de septembre…

La situation est différente aujourd’hui puisque je n’ai pas d’autre cible que mon nombril.
J’ai toujours affirmé qu’une de mes grandes forces c’était de savoir ne rien faire. Couper les ponts avec le boulot lorsque j’étais en vacances…
Mais là ? Je n’ai rien à faire (et pourtant j’aime ça), je n’ai personne dont me soucier au quotidien (je m’y suis fait depuis longtemps) mais je tourne en rond. Sans but, sans objectif, sans horizon.
Sans autre idée que de me dire que ce sera con de mourir seul…

J’ai parfois un rapport au temps assez spécial, et c’est pour ça que j’ai été incapable d’écrire quoi que ce soit depuis plus d’un mois…
Le temps passe et j’ai le sentiment de rien maitriser.
Ou plutôt je sais avec de plus en plus d’acuité, de certitude, d’évidence que c’est lui, le temps, qui a pris la main sur mon présent… Rien de révolutionnaire dans cette affirmation mais la nouveauté c’est que j’ai vraiment pris conscience que le temps passe et que ma vie m’échappe…
J’avais en tête que la retraite allait me permettre de m’échapper dans mes rêves. J’avais en tête que j’allais prendre le temps de faire quelques voyages qui me tiennent à coeur : l’Islande, l’Ecosse, la Nouvelle-Zélande, l’ouest américain… Et puis il y a eu la Covid.
Et puis j’ai adopté un chat, Asgård. Mais le temps a eu raison trop vite de cette « vie à deux ». J’essaye de la reconstruire avec la présence de Scotty… Mais c’est parfois dur de me défaire de cette idée que ça ne durera pas…

Le temps passe et j’ai le sentiment de rien maitriser mais c’est peut-être cette évidence que j’essaye de combattre, c’est peut-être ça qu’il y a derrière cette « folie » que j’ai commise de vouloir m’acheter un nouvel appartement. Cet achat, c’est une façon de jouer avec le futur proche en plus de l’envie d’avoir un autre décor avec une grande terrasse au soleil.
Aller visiter le chantier fait partie de mes rituels hebdomadaires… et je suis maintenant frustré parce qu’aucun changement ne va être visible de l’extérieur pendant quelques mois. Le bâti est fini, les ouvriers vont attaquer les aménagements intérieurs, la pose des cloisons etc. Je commence à me préoccuper de ma future cuisine, du modèle de porte blindée que je ferai poser…
J’ai conscience d’être un privilégié, conscience que mes préoccupations de propriétaire peuvent paraître décalées par les temps qui courent.
Acheter ce nouvel appartement a une signification spéciale : je ne voulais pas utiliser l’héritage de mes parents pour des futilités. Je me souviens que Papa et Maman ont acheté leur maison, à Béthune, à plus de 50 ans, avec l’ambition de léguer quelque chose à leurs enfants.
« Héritier », situation qu’ils n’avaient pas connue, ni l’un ni l’autre, pour de sombres histoires de famille…
C’est donc un peu en hommage, et par respect pour ce qu’ils m’ont légué que j’ai décidé de changer d’appartement et d’en acheter un nouveau.
Et puis pour la terrasse aussi… J’espère avoir la possibilité d’en profiter quelques années…

Je crois qu’il n’y a pourtant pas un jour où je ne pense pas à la mort, à ma mort… Et bien sûr je pense souvent que le fait d’avoir choisi d’acheter un appartement neuf est une sorte de fuite en avant, une façon peut-être de « gommer » l’idée de l’inéluctable nichée au fond de ma tête. Une façon de réduire le futur à une évidence égoïste. Me faire plaisir pour quelques années puisque je n’ai personne d’autre que mon chat avec qui le partager.
Et puis, malgré tout, réfléchir à l’après, pour trouver l’association à qui faire un legs. Il y a des gens qui savent faire le bien de leur vivant. J’essaierai modestement d’aider, de faire quelque chose de constructif quand je ne serai plus là… De l’égoïsme encore, puisque je ne me serai privé de rien.

En attendant, sans but réel, je me laisse aller et, même si le temps passe, même si j’ai le sentiment de rien maitriser, je vais me reprendre et tenter de profiter de mes journées…
Histoire de faire semblant et de tromper cette idée que je suis sur un bateau qui file dans la nuit…
Vers quel horizon ?
Un horizon ? Ne soyons pas ambitieux… Je vais tout simplement tenter de profiter des jours qui passent et du beau temps promis par la météo…

Voir un ami pleurer… (Brel)

Bien sûr, il y a nos défaites 
Et puis la mort qui est tout au bout 
Nos corps inclinent déjà la tête 
Étonnés d'être encore debout 
Bien sûr, les femmes infidèles 
Et les oiseaux assassinés 
Bien sûr, nos cœurs perdent leurs ailes, mais 
Mais voir un ami pleurer…

Ma conception de l’amitié, ma façon de vivre la relation amicale pourrait être qualifiée par certains de virtuelle plus que réelle. Mais pour moi l’amitié passe autant par l’esprit que par la présence ou la démonstration physique.

Il est des gens que je garde dans mon cœur et dont je me soucie, même s’ils ne le savent pas, même si je ne les contacte pas, même si des mois peuvent passer sans que l’on communique d’une façon ou d’une autre. Ils sont là, même si EUX ne savent pas, ne peuvent pas savoir que je suis « là » aussi…
Comme toutes ces personnes que les blogs m’ont permis d’apprécier, parce qu’on exprimait à l’époque des idées et des sentiments en un-peu-beaucoup-plus que 140 caractères. Sans se fréquenter, on avait le temps d’apprendre à se connaitre et à s’apprécier… Et parfois, la magie de la rencontre opérait (à condition, je le confesse, que je surmonte mon angoisse de franchir le barrage de l’écran, que je surmonte ma hantise de ne pas être à la hauteur de ce qu’ils imaginaient que j’étais…)

Comme Matoo et Alex… Comme Dominique et Olivier… Comme Laurent et Stéphane… Comme Anne et Franck… et d’autres…

Au travers d’un écran, on peut ressentir des sentiments, de l’empathie, de l’amitié… Peut-être suis-je égoïste de penser ça, peut-être que je suis tout simplement en train de trouver une excuse à ma paresse, à ma difficulté profonde à partager la chaleur amicale du relationnel « dans la vraie vie ». Peut-être… Mais ça n’enlève rien à ma sincérité.

Ce billet s’adresse à Frédéric, parce que je suis dévasté par ce qui lui arrive…
Mais comment savoir s’il a envie de parler « en vrai » ou s’il préfère ne pas être importuné dans cette douleur qui l’unit encore et pour toujours à son homme ?
Comment savoir si mon « silence » doit être brisé ? Est-ce si important de savoir dans ces instants particuliers que je suis là avec mes quelques mots de soutien si vains, si superficiels, si « étrangers »…

Dans les faits, nous n’étions, nous ne sommes pas « proches ». Je pense que – même lorsque j’étais dans la région parisienne – nous ne sommes vu « en vrai » que 3 ou 4 fois. On se fréquentait plus par réseaux sociaux interposés. Et pourtant, au fond de moi, il fait partie de mes « amis », même si je sais que certaines personnes fronceront le sourcil devant cette affirmation…

J’ai souvent pensé et je pense souvent à Frédéric. Guettant ses publications ou ses réactions. Il fait partie de mon monde, et petit à petit il a pris sa place dans mon cœur. On avait des points communs, puisque nous avons fréquenté professionnellement la même « maison ». La thématique professionnelle crée des liens, il y avait des clins d’œil complices dans les anecdotes que nous partagions…
Frédéric a toujours eu un côté « dandy décalé » qui m’intrigue et me plait.
Et puis Frédéric avait une façon assez talentueuse de parler et de partager le bonheur qu’il vivait…
Je fais partie des personnes qui peuvent être heureux par procuration : savoir que ceux que j’aime sont heureux contribue à mon bonheur.

Un jour, longtemps après qu’il soit entré dans sa vie, j’ai eu l’occasion de rencontrer Chris. J’avais vu des images de son travail de graphiste et j’avais été fasciné par la précision et l’inventivité de sa technique de dessin et le réalisme du rendu. J’ai rencontré Chris dans l’atelier qui accueillait l’exposition de son travail et je suis reparti avec une de ses œuvres. Celle qui figure en illustration de ce billet. Séduit par la précision du dessin mais aussi par l’inventivité qui permettait à l’alternance de rayures strictes et sévères de se fondre insensiblement dans le vivant et de donner naissance à cette superbe représentation des zèbres… Cette œuvre est depuis plus de 5 ans accrochée au dessus de mon lit.

Mercredi matin, juste après avoir publié mon bonjour matinal sur Twitter, j’ai vu la photo de Chris sur Instagram. La photo d’un homme dont les rides de bonheur au coin de yeux et les fossettes sur les joues étaient craquantes.
Et puis j’ai vu au bas de la photo la mention 1968-2023.
Et j’ai pleuré. Comme s’il s’agissait d’un « proche ».
C’est sans doute parce que ma définition laborieuse et maladroite d’une amitié « qui n’a pas besoin de contacts quotidiens pour être vraie et sincère » n’est finalement pas si fausse que ça.,
C’est peut être pour ça que je me permets de dire à Frédéric qu’il est mon ami, que je suis effondré par ce qui lui arrive.
Et que je suis triste de n’avoir rien de plus à lui offrir que ces mots…

Brel – Voir un ami pleurer

Stray cat strut (The Stray Cats)

I don't bother chasing mice around
I slink down the alleyway looking for a fight
Howling to the moonlight on a hot summer night
Singin' the blues while the lady cats cry
"Wild stray cat, you're a real gone guy"
I wish I could be as carefree and wild
But I got cat class and I got cat style

Quels secrets, quelle vie passée, quelles envies se cachent derrière ces yeux d’un bleu que je qualifierais de « céladon ». Un follower sur Instagram m’a dit que les bretons ont un mot pour cette couleur. C’est « glaz ». Le « glaz » m’a-t-il expliqué, est une nuance comportant du bleu, du vert et du gris, elle est utilisée pour définir les différentes teintes que peut prendre la mer en Bretagne… Évidemment, je valide : c’est breton, donc c’est bon ! Breton un jour, breton toujours, même si j’ai choisi de vivre à Marseille…

Qu’est-ce qui se cache derrière ces yeux ? Qu’est-ce que Scotty a vécu, avant ?
Âgé de 3ans, 3ans et demi, Scotty a déjà fréquenté deux refuges. Et avant ? Je pense que c’est un chaton qui s’est éduqué dans la rue…
Il y a du Harrison Ford dans ce chaton : un côté Han Solo, le bad boy au grand cœur de Star Wars, et un côté Indiana Jones, le baroudeur intrépide qui ne sait pas toujours éviter les emmerdes… Attachant, déconcertant et perturbant.

Il y a trois ans, je me demandais déjà, au sujet d’Asgård, si mon chat était heureux. J’ai les mêmes questions avec Scotty d’autant plus prégnantes que son caractère, ses réactions, son mode de vie sont tellement différents de ce à quoi je m’étais habitué.
C’est facile de dire qu’il n’est pas question de faire des comparaisons oiseuses. Mais c’est aussi tellement évident de se souvenir de la docilité d’Asgård, de son caractère très conciliant, et en regard, constater le côté vif-argent (encore) insaisissable d’un Scotty qui sait avoir la patte leste…
Ma crainte c’est que Scotty ne se sente « contraint » dans un appartement, donc qu’il s’ennuie. Je vais même oser avouer que je me suis demandé si je n’avais pas eu tort de choisir ce chaton très vif, voire si ce ne serait pas plus judicieux de le ramener et de choisir un chat plus pépère.
Et puis…
Et puis Scotty saute sur mes genoux, se vautre sur mon clavier en ronronnant, vient glisser sa tête au creux de ma main… Je fonds !
Et puis je me souviens que j’ai choisi d’avoir un chat, choisi dans un refuge, pour le rendre heureux. Donc patience et longueur de temps…
Ça ne fait même pas un mois qu’il est là. Et durant cette période il y a eu une semaine de travaux, donc de perturbations, voire de stress pour Scotty, alors qu’il n’avait pas encore ses habitudes, qu’il n’était pas « rassuré » sur sa nouvelle vie.
Je vais guetter certaines évolutions. Pour le moment Scotty est un morfale qui mange avec voracité sa pâtée. Qui, si je n’y faisais pas attention, mangerait le double de ce que je lui donne. Au moins, il n’est pas difficile : pâtées à la viande, au poisson, en sauce ou en gelée, croquettes… Tout est bon. Scotty n’est pas un raffiné. Il n’hésite pas à tenter de récupérer des boites de pâtée vides dans la poubelle, des fois qu’il y aurait encore quelque chose à lécher. Il n’hésite d’ailleurs pas plus à voler des sachets pour satisfaire sa gourmandise.
Je vais attendre et guetter le jour où Scotty va m’offrir son ventre blanc à gratouiller…
C’est aussi ce côté bad boy intrépide qui fait que je ne lui ai pas encore donné accès au balcon. Asgård était curieux mais finalement craintif. Je sens que Scotty est plus va-t-en-guerre et je crains qu’un vol de pigeon, par exemple, ne l’excite et ne le pousse à oublier la prudence. Il faut que je fasse installer un grillage sur la loggia. Pour sécuriser Scotty ou pour me rassurer ? Surtout pour me rassurer…

Je suis en train de travailler mes capacités d’adaptation et… et surtout je suis en train de prendre des nouvelles habitudes : fermer la porte du débarras pour interdire l’accès à la nourriture, ranger la poubelle de tri des emballages (une mine de trésors divers et variés pour Scotty), dégager les bibelots les plus fragiles, vérifier la fermeture des placards, repositionner la télé plus près du mur pour interdire l’accès aux câbles… et à la poussière !

Par toutes ces concessions, je ne sais pas si je montre que je suis le plus intelligent ou le plus faible. Mais je reste fidèle à mon mantra ; j’ai recueilli un chat pour qu’il soit heureux !
Faut quand même dire que c’est une boule d’amour, ce chat ! Il suffit qu’il se frotte contre moi en ronronnant et…

(Je finis là ce billet, Scotty a décidé de squatter le clavier !)

Stray Cats – Stray Cat Strut

Je suis moi (F. Hardy)

…Et la rue m'habitue à n'être plus personne
presque plus personne
et la ville me force à suivre son rythme fébrile
son rythme fébrile
mais quand on se retrouve
quand il rentre le soir
il suffit d'un regard
et je suis moi
j'ai le ciel au bout des doigts
le monde au-dessous de moi
comme pour la première fois
je suis moi

En cherchant un texte que j’avais écrit il y a de nombreuses années, sur mon ancien blog, concernant le poids du regard des autres sur sa propre vie, j’ai retrouvé ce questionnaire… Les réponses datent de septembre 2004. Mises à part la référence au walkman (que je remplacerais par un iPhone) et l’utilisation de mon argent (tournée aujourd’hui vers un projet immobilier), je n’ai rien à changer !

Quand êtes-vous déjà mort ?
Le 06 octobre 1957
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La force de l’habitude et l’envie de pisser !
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Je suis encore un enfant…
Qu’est-ce qui vous distingue des autres ?
Ils sont vivants.
Vous manque-t-il quelque chose ?
L’envie de croire en moi.
Pensez-vous que tout le monde puisse être artiste ?
Oui, chacun à sa façon…
D’où venez-vous ?
Du ventre de ma mère.
Jugez-vous votre sort enviable ?
Sans doute, quand j’arrête de me regarder le nombril.
A quoi avez-vous renoncé ?
A l’optimisme béat et forcené…
Que faites-vous de votre argent ?
Impôts (beaucoup), épargne (un peu) la vie et ses plaisirs partagés ou égoïstes. Je ne me pose pas trop de questions.
Quelle tâche ménagère vous rebute le plus ?
Toutes les tâches !
Quels sont vos plaisirs favoris ?
Somnoler au soleil avec un walkman sur les oreilles !
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un an de moins…
Citez trois artistes vivants que vous détestez.
Si je les déteste je ne les qualifierai pas « d’artiste »…
Que défendez-vous ?
La liberté de penser… (Garfieldd, nouveau F. Pagny ! yeah!!)
Qu’êtes-vous capable de refuser ?
De dire oui comme les autres.
Quelle est la partie de votre corps la plus fragile ?
Le coeur !
Qu’avez-vous été capable de faire par amour ?
Faire confiance…
Que vous reproche-t-on ?
D’être naïf et immature.
A quoi sert l’art ?
A embellir le réel.
Rédigez votre épitaphe.
« Je serai mort le jour où vous vous arrêterez ici en vous demandant : mais qui est-ce? »
Sous quelle forme aimeriez-vous revenir ?
Revenir? pourquoi faire ?

F. Hardy – Je suis moi (1974)

He’s a pirate (Scotty)

Scotty – He’s a pirate / BOF – Pirate des Caraïbes II
Scotty, 5 ans, FIV+
Ce petit amour espiègle n'est pas conscient d'être un félin… c'est un véritable petit toutou qui répond et vient en courant lorsque vous l'appelez !
Scotty, est un chat tout doux, tout câlin et tellement rigolo.
Du bonheur assuré chez vous !
Et ça tombe bien, ce beau gosse est à adopter, venez le rencontrer !

Quand j’ai vu cette fiche de présentation, je me suis dit « pourquoi pas ? »
J’ai appris finalement qu’il avait 3 ans (parce que septembre 2019 / janvier 2023, mathématiquement c’est plus proche de 3 ans que de 5 ans…)
Aucun rapport, aucune ressemblance avec Asgård… Évidemment, même si on se dit qu’on ne va comparer, qu’il ne faut pas comparer, l’image et les souvenirs heureux (et déchirants) de mon chaton m’accompagnent dans ma démarche…

Si on met à part le fait qu’il est positif au FIV, Scotty n’a aucun point commun avec Asgård : poils courts, tigré et blanc, silhouette fine… Même de profil Scotty est différent avec un « stop » (la liaison entre le front et le museau) très peu marqué. Asgård était finalement très placide, très docile, très « pépère » alors que Scotty m’est apparu tout de suite comme vif, aventureux et enjoué. Après une journée passée avec lui je dirais même qu’il a un côté « bad boy » déluré.

En arrivant au refuge, la bénévole avec qui j’avais échangé par téléphone, m’a déclaré qu’elle allait me présenter d’autres chats « qui pourraient me convenir ». J’ai refusé… Je suis venu voir Scotty en priorité avec toujours le sentiment qu’un chat porteur du FIV, le « sida des chats » est plus difficilement adoptable. Dans mon esprit c’est à Scotty de m’accepter, si ce n’est pas le cas, on regarde ailleurs… Avec cette façon de concevoir l’adoption, je suis évidemment surpris voire choqué par le comportement des familles adoptantes qu’on peut voir dans l’émission de C8 « Animaux à adopter, nouvelle famille ». On y voit des familles qui viennent dans un refuge qui regardent et comparent plusieurs animaux avant de faire leur choix. Un peu comme on ferait dans une concession auto pour choisir son véhicule en fonction de la couleur de la carrosserie et des options de l’habitacle… Les animaux ressentent les situations d’abandon, alors comment ne seraient-ils pas sensibles également au fait de ne pas être choisis, d’être abandonnés silencieusement une nouvelle fois… De mon côté, je ne pourrais pas affronter le regard d’un animal que je délaisserais au profit d’un autre.

L’adoption c’est un peu comme la drague dans un bar gay : tu discutes avec un mec avec qui tu aimerais que ça matche, et puis tu vois qu’il regarde par dessus ton épaule… et il finit par te quitter avec un grand sourire en te disant « on se voit tout à l’heure ? ». Et puis la soirée se termine et tu restes au bar, seul, comme un con. Forcément un peu (beaucoup) malheureux. Je suis souvent resté comme un con, sur mon tabouret, avec parfois l’espoir que le « tout à l’heure » ne serait pas qu’une formule de politesse…

On est donc allé voir Scotty. Je l’avais choisi, avec mon cœur et ma tête, mais c’est à lui que revenait la décision. Je me suis accroupi. Il a accouru vers moi, il a glissé sa tête dans ma main en se frottant contre moi… et sans que j’ai le temps de m’y préparer, il a sauté sur mon épaule, il est resté quelques secondes autour de mon cou en ronronnant.
J’en ai déduit qu’il m’avait adopté.

Sur le trajet de retour, il a miaulé. Pas des miaulements de colère ou d’inquiétude si j’en juge par les regards qu’il m’adressait. Mais il a beaucoup miaulé. C’est un chat bavard, là encore totalement différent d’Asgård qui miaulait peu et avec retenue, à mi-voix pourrait-on dire…
Arrivé à la maison, Scotty s’est tu. Il est resté circonspect, l’oreille en alerte, humant l’air, l’attitude inquiète quand il captait un bruit inconnu… Et puis il a repéré les croquettes. Ce qui a eu l’air de le rasséréner un peu.

Il a sauté sur le fauteuil, sur la table, sur le dossier du canapé pour regarder dehors. Il a monté l’escalier prudemment. A inspecté sous le lit. A sauté sur le lavabo dans la salle de bains.
Il a observé prudemment son reflet dans le miroir. Il a testé le moelleux de la couette. Je l’ai appelé pour redescendre dans la pièce principale, il a accouru et a apprécié la pâtée, manifestant même de l’impatience alors que j’ôtais l’opercule de la barquette…

Je l’ai laissé faire ses découvertes pendant le reste de la journée, me contentant de le photographier et d’inonder les réseaux sociaux de ses images…

Faire ses découvertes ça veut dire, trouver un passage sous le meuble de la salle de bains pour se caler tranquillement dans un tiroir au milieu des draps de bains pendant que je le cherche pendant un bon quart d’heure… (J’ai été à deux doigts d’ouvrir le réfrigérateur pour m’assurer que je ne l’avais pas enfermé par erreur !).
Faire ses découvertes, ça veut dire aller explorer les dessous du canapé et se reposer sous le mécanisme qui permet la position relax. Et en sortir bienheureux, couvert de poussière.
Faire ses découvertes, ça veut dire se glisser derrière la télé au risque de la faire basculer… ça veut dire sauter sur le meuble à l’entrée et faire tomber les papiers qui le gênent.
Faire ses découvertes ça veut dire se conduire – comme je l’écrivais en introduction – en « bad boy » déluré.

Je l’aime déjà…

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Le petit chat est mort…

Trois ans, pas un jour de plus. J’avais rêvé d’un autre anniversaire.
Asgård est parti aujourd’hui.
Il ne mangeait plus depuis 4 jours. Il allait régulièrement boire, restant prostré de longues minutes devant la gamelle, lapant parcimonieusement quelques gouttes d’eau à chaque fois. Mais il refusait la nourriture. Même mon doigt trempé dans la gelée des pâtées ne suscitait plus d’intérêt…

Je l’ai regardé souvent, longtemps, guettant le moindre signe de malaise ou de souffrance. Il est resté beau jusqu’au dernier moment.

Un rendez-vous avec la vétérinaire avait été fixé pour ôter les points de suture suite à la biopsie. Ce matin, j’ai téléphoné pour indiquer que le but du rendez-vous serait peut-être autre. J’ai réussi à articuler quelques mots d’explication au milieu de mes sanglots.

En fait, j’ai pleuré souvent depuis 4 jours. Dès que je parlais d’Asgård, ma gorge se serriont et j’avais les yeux qui mouillont comme aurait dit S. Rousseau. Dès que je regardais Asgård prostré, les papattes bien rangées sous lui, dès que je lui parlais, dès que je le voyais me regarder… je pleurais.
Plusieurs fois j’ai cru qu’il allait partir, quand il allait se réfugier dans le débarras, dans la douche, dans son abri bricolé avec deux cartons… A petits pas, quand je prenais conscience de son absence, j’allais voir. Je cherchais. Et je le trouvais, hiératique, immobile, les yeux mi-clos. Et il revenait dans le salon, se lover sur mon fauteuil devenu notre fauteuil. Plusieurs fois il m’a offert son ventre à caresser. Et je l’ai caressé. J’ai gratouillé le dessous de son menton, l’arrière de ses oreilles. En espérant qu’il ressentait toute la tendresse que j’avais pour lui.
Cette nuit, il est venu dormir, sur la couette, à mes pieds. Ce matin il n’y était plus et j’ai eu peur… Mais non, il était silencieusement descendu se cacher dans son carton préféré.

Je m’en suis voulu de penser que ce serait bien qu’il « parte » avant le rendez-vous chez la véto. Partir en étant chez lui, et non pas à cause d’une piqûre. On projette tant de sentiments humains sur une petite bête qu’on va perdre. Ce n’est pas rationnel, je le sais. En fait j’espérais ne pas avoir à prendre LA décision fatale, puisqu’il était évident que la fin était proche.
J’ai tellement culpabilisé quand ces pensées me venaient. Je ne voulais pas sa mort, elle était là de toute façon. Mais je voulais pouvoir l’accompagner au mieux.

Savait-il ? il a passé la dernière demi-heure sur mes genoux, avant que je ne sorte son panier de transport. Il m’a offert le plaisir de le caresser longuement une dernière fois…

Le rendez-vous avec la vétérinaire a été assez simple : « Dites-moi si Asgård souffre ? Même si ça me fait mal de le voir comme ça, si ce n’est pas mauvais pour lui de rentrer à la maison, je le garde jusqu’à la fin, mais s’il souffre… »
Elle l’a palpé, a regardé ses yeux. Elle m’a dit que le foie était gravement atteint. Qu’à l’évidence il devait aller mal et souffrir même sans miauler ou griffer…
« Alors on fait ce qu’il y a à faire… »

J’ai dit ça très vite, à mi-voix, les yeux pleins de larmes.
J’ai continué à caresser mon chaton pendant que la véto faisait la piqure de tranquillisant. Quelques minutes plus tard, Asgård était étrangement apaisé… la véto m’a demandé si je voulais rester.
Je suis resté. Deuxième piqure. Elle a sorti son stéthoscope, et m’a fait un signe de tête imperceptible. Trois minutes plus tard, Asgård était parti. La seule chose que j’ai remarquée, ce sont ses pupilles qui se sont insensiblement dilatées.
J’ai signé deux papiers, et je l’ai laissé sur la table d’auscultation.

C’est fini.
Je garderai les souvenirs, les photos, l’envie de glisser mes doigts dans ses poils longs.
Pour le moment je pleure…
Ce n’est pas ce que j’avais imaginé pour célébrer l’anniversaire de cette rencontre, il a 3 ans, entre Asgård et moi…