Le fils de pub a (mal) vieilli…

M. Le Forestier – Je veux quitter ce monde heureux

Je le confesse sans fausse honte, je suis ce qu’on appelle un téléphage et je ne boude jamais – ou presque – mon plaisir, même lors des pauses pub. Je faisais d’ailleurs le désespoir de mes parents quand j’étais gamin : ils constataient avec consternation que je retenais tellement facilement les musiques ou les slogans des « réclames » (comme on disait encore dans les années 60)… Si seulement j’avais manifesté la même aisance pour apprendre les tables de multiplication ou les règles de grammaire…
Je n’ai pas fondamentalement changé et encore aujourd’hui je reconnais facilement les pubs diffusées à la télé… Il peut m’arriver de chantonner la musique d’un spot alors que je viens de quitter mon fauteuil pour un pipi-minute. Mon coup de cœur du moment c’est la pub Chanel qui a ressorti de la poussière la chanson Follow me d’Amanda Lear. La voix grave d’Amanda posée sur cette musique électro-disco avec plein de reverb m’enchante…
J’aime aussi beaucoup la pub Twix dans laquelle deux scouts détaillent le craquant et le moelleux de la friandise pendant que deux ours, dans les fourrés derrière eux, utilisent les mêmes arguments pour détailler le plaisir envisagé à l’idée de croquer ces deux humains… C’est efficace, bien trouvé avec ce qu’il faut d’humour (noir) et de non-dit pour que ça marque.
Mais il y a également des pubs qui me chiffonnent. Je dirais même qui me choquent? Aurais-je enfouie au fond de moi une sensibilité gaucho-humaniste ?

Premier exemple.
Il y a cette dame qui rentre chez elle alors que l’orage menace, et pendant qu’elle cherche dans son sac ses clefs, elle prend conscience qu’elle a oublié d’acheter du lait. La voix off assène « vous avez encore oublié le lait et vous n’avez pas envie d’y retourner. Faites vous livrer ! » Ben oui, on ne va pas risquer de ruiner le brushing et puisqu’on a de la thune, autant payer pour qu’un pauv’gars se fasse tremper à sa place… Le pauv’gars en question évidemment livre la dame, avec le sourire, « en quelques minutes ».

Tout est à gerber dans ce spot. La nana, c’est une européenne blonde. Le livreur c’est un mec typé. L’argent permet à la nana de préserver son petit confort bourgeois, de faire exécuter les trucs emmerdants par un mec qui n’est pas du même milieu social, et toute cette mascarade aux relents d’esclavage moderne se fait via une appli, en un claquement de doigts, parce qu’en plus, on ne fait pas attendre la dame qui a de l’argent… Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu la lutte des classes mise en scène de façon aussi décomplexée et insidieuse.
D’ailleurs – même si je ne suis pas client de ces sites de service de livraison à la personne – je me suis toujours demandé s’il fallait accepter de signer les pétitions qui dénoncent « l’uberisation » du travail au risque de mettre au chômage des jeunes gens pour qui se faire exploiter de la sorte reste peut-être le seul moyen de (sur)vivre. Défendre un principe ou défendre le droit au travail, le droit à la dignité ? Comment trancher ? Où est la limite entre le « petit boulot » et l’esclavage ? Pour le moment j’y ai répondu (ou pas) en ayant le choix de ne pas avoir besoin de solliciter ces plateformes de livraison…

Deuxième exemple.
Petite réunion de brainstorming dans une boite de téléphonie dont la patronne est heureuse de proposer un forfait à 15,98€ alors que le concurrent affiche un prix de 15,99€. Mais « je ne vous cache pas que pour y arriver il va falloir faire quelques sacrifices… » et s’adressant à un employé, devant l’assemblée qui applaudit « donc voilà, Marc… Tu es le sacrifice ! Il faut que tu partes. Allez tout le monde, on dit au revoir à Marc ! »

Je ne sais pas qui a eu cette idée de mette en scène un licenciement de façon aussi cynique et brutale. Je ne dis pas que cette situation est « caricaturale » car on a déjà entendu ici ou là parler d’employés qui ont été licenciés par SMS. Pas besoin d’aller chercher chez Elon Musk. On a vécu ça en France à plusieurs reprises… Je ne sais pas qui a eu cette idée, mais je me demande aussi comment le patron de Free a pu valider l’idée et trouver acceptable qu’on s’amuse du chômage… Rire avec le licenciement, pas dans un sketch qui se servirait de l’humour noir pour dénoncer une situation, non, en rire avec décontraction et en faire finalement – puisque c’est une pub multi-diffusée et déclinée dans plusieurs versions – un élément du « politiquement correct » en cours dans notre monde.

Ces deux spots de pub sont-ils vraiment le reflet de notre époque et d’un glissement de plus en plus flagrant vers une idée que je croyais appartenir au 19ème siècle. L’humain (re)devient de façon flagrante la variable d’ajustement de l’économie. Dans le système capitaliste ça a évidemment toujours été le cas. Mais le fait que ce soit assumé d’une façon aussi décomplexée me sidère.

Finalement je suis heureux d’avoir déjà vécu la plus grande partie de ma vie… Je suis né et j’ai vécu mon enfance dans une période d’innocence, de légèreté et où se projeter dans l’avenir (on parlait de l’an 2000 comme d’un horizon radieux) faisait partie d’un quotidien serein. Mes parents avaient connu la guerre, ils pouvaient donc éduquer leurs enfants en positivant et en dédramatisant. J’ai eu la chance de passer au dessus de la crise pétrolière et l’inflation à deux chiffres, au dessus l’irruption de l’aggravation du chômage, de toutes ces épées de Damoclès économiques en devenant – par choix – fonctionnaire après avoir fait des études qui m’intéressaient avant d’être la clé obligée de mon avenir professionnel. J’ai eu la chance de voir des évolutions sociétales qui étaient des avancées. J’ai eu la chance de m’épanouir avec le sentiment que tout ou presque était possible. Les pubs qui m’ont accompagné c’était la pub pour les chamallows (les bons gros bonbons tendres), c’était la pub pour les « chevrons sauvages » de Citroën , c’était la pub « quand c’est trop c’est Tropico », c’était « tu baguenaudes dans les pâturages, Belle des Champs », c’était des pubs qui reflétaient la magie du plastique, de l’essence facile et du jetable, qui glorifiaient la société de consommation débridée, des pubs qui reflétaient le sexisme/machisme de la société, certes,… mais qui véhiculaient également une insouciance et une légèreté qui étaient révélatrices d’un hédonisme je-m’en-foutiste tellement plaisant à vivre dans l’instant.

Bien sûr aujourd’hui on sait combien ces comportements ont été le terreau de nombre de problèmes d’aujourd’hui. Il est devenu difficile d’être léger et insouciant. Mais doit-on ajouter le cynisme aux problèmes qui s’accumulent ?

Oui… je suis bien content d’avoir déjà vécu la plus grande partie de ma vie. Le futur est (potentiellement) désespérant. J’aimerais tant que les agences de pub nous concoctent à nouveau des pubs idiotes qui fassent rire ou rêver…

Publicité

Ships that pass in the night (D. Essex)

David Essex – Ships that pass in the night
Pour une fois, je mets la musique en introduction parce qu'elle accompagne magnifiquement l'état d'esprit qui était le mien en écrivant ce billet. Après tout Brett Easton Ellis et Maxime Chattham partagent les playlists qui ont accompagnées l'écriture de leurs livres… Héhé

J’ai parfois un rapport au temps assez spécial…
Je crois que c’est la deuxième fois que je ressens ce sentiment de vide, cette idée horizon temporel sans but, sans échéance et sans étape. Je ne sais pas quoi faire de mes journées et – d’une certaine façon – j’ai le sentiment d’avoir « perdu » un mois de ma vie depuis mon dernier billet. Le sentiment d’être comme un bateau de papier ballotté par un ruisseau. Un bateau qui n’a d’autre issue due de finir dans un caniveau et de disparaitre englouti dans une grille d’égout car il n’est pas taillé voguer fièrement sur la mer…

La première fois que j’ai ressenti ça, c’était en 2006 quand l’Éducation Nationale m’avait mis au ban de l’institution pendant 6 mois et que je n’avais d’autre solution que de gaspiller le temps libre qu’on me forçait à prendre. Entre février et août 2006 je tournais en rond, sans but avec cependant la certitude de pouvoir reprendre pied – pour ne pas dire de reprendre vie – à la rentrée de septembre…

La situation est différente aujourd’hui puisque je n’ai pas d’autre cible que mon nombril.
J’ai toujours affirmé qu’une de mes grandes forces c’était de savoir ne rien faire. Couper les ponts avec le boulot lorsque j’étais en vacances…
Mais là ? Je n’ai rien à faire (et pourtant j’aime ça), je n’ai personne dont me soucier au quotidien (je m’y suis fait depuis longtemps) mais je tourne en rond. Sans but, sans objectif, sans horizon.
Sans autre idée que de me dire que ce sera con de mourir seul…

J’ai parfois un rapport au temps assez spécial, et c’est pour ça que j’ai été incapable d’écrire quoi que ce soit depuis plus d’un mois…
Le temps passe et j’ai le sentiment de rien maitriser.
Ou plutôt je sais avec de plus en plus d’acuité, de certitude, d’évidence que c’est lui, le temps, qui a pris la main sur mon présent… Rien de révolutionnaire dans cette affirmation mais la nouveauté c’est que j’ai vraiment pris conscience que le temps passe et que ma vie m’échappe…
J’avais en tête que la retraite allait me permettre de m’échapper dans mes rêves. J’avais en tête que j’allais prendre le temps de faire quelques voyages qui me tiennent à coeur : l’Islande, l’Ecosse, la Nouvelle-Zélande, l’ouest américain… Et puis il y a eu la Covid.
Et puis j’ai adopté un chat, Asgård. Mais le temps a eu raison trop vite de cette « vie à deux ». J’essaye de la reconstruire avec la présence de Scotty… Mais c’est parfois dur de me défaire de cette idée que ça ne durera pas…

Le temps passe et j’ai le sentiment de rien maitriser mais c’est peut-être cette évidence que j’essaye de combattre, c’est peut-être ça qu’il y a derrière cette « folie » que j’ai commise de vouloir m’acheter un nouvel appartement. Cet achat, c’est une façon de jouer avec le futur proche en plus de l’envie d’avoir un autre décor avec une grande terrasse au soleil.
Aller visiter le chantier fait partie de mes rituels hebdomadaires… et je suis maintenant frustré parce qu’aucun changement ne va être visible de l’extérieur pendant quelques mois. Le bâti est fini, les ouvriers vont attaquer les aménagements intérieurs, la pose des cloisons etc. Je commence à me préoccuper de ma future cuisine, du modèle de porte blindée que je ferai poser…
J’ai conscience d’être un privilégié, conscience que mes préoccupations de propriétaire peuvent paraître décalées par les temps qui courent.
Acheter ce nouvel appartement a une signification spéciale : je ne voulais pas utiliser l’héritage de mes parents pour des futilités. Je me souviens que Papa et Maman ont acheté leur maison, à Béthune, à plus de 50 ans, avec l’ambition de léguer quelque chose à leurs enfants.
« Héritier », situation qu’ils n’avaient pas connue, ni l’un ni l’autre, pour de sombres histoires de famille…
C’est donc un peu en hommage, et par respect pour ce qu’ils m’ont légué que j’ai décidé de changer d’appartement et d’en acheter un nouveau.
Et puis pour la terrasse aussi… J’espère avoir la possibilité d’en profiter quelques années…

Je crois qu’il n’y a pourtant pas un jour où je ne pense pas à la mort, à ma mort… Et bien sûr je pense souvent que le fait d’avoir choisi d’acheter un appartement neuf est une sorte de fuite en avant, une façon peut-être de « gommer » l’idée de l’inéluctable nichée au fond de ma tête. Une façon de réduire le futur à une évidence égoïste. Me faire plaisir pour quelques années puisque je n’ai personne d’autre que mon chat avec qui le partager.
Et puis, malgré tout, réfléchir à l’après, pour trouver l’association à qui faire un legs. Il y a des gens qui savent faire le bien de leur vivant. J’essaierai modestement d’aider, de faire quelque chose de constructif quand je ne serai plus là… De l’égoïsme encore, puisque je ne me serai privé de rien.

En attendant, sans but réel, je me laisse aller et, même si le temps passe, même si j’ai le sentiment de rien maitriser, je vais me reprendre et tenter de profiter de mes journées…
Histoire de faire semblant et de tromper cette idée que je suis sur un bateau qui file dans la nuit…
Vers quel horizon ?
Un horizon ? Ne soyons pas ambitieux… Je vais tout simplement tenter de profiter des jours qui passent et du beau temps promis par la météo…

Qu’est-ce que sera demain ?

Yves Simon – Qu’Est-Ce Que Sera Demain

Des rêves sur le bitume
Quelques mots d’amertume
On change de décor
(…)
Qu’est-ce que sera demain?
L’début ou la fin?
Ou la fin…

Je m’étais dit que j’allais écrire un billet bien chiadé, à coup de dénonciation de la médiocrité ambiante, de la suffisance de nos politiques fraichement élus et de l’insuffisance crasse de nombre de journalistes qui auraient pu/dû faire preuve de leur culture historique, de leur esprit critique et de leur finesse d’analyse pour bousculer le ronronnement médiocre de l’actualité…
A quoi bon ? Chaque jour apporte son lot de renoncements, d’approximations, de mensonges, de compromissions. Y’en a pas un pour rattraper l’autre, alors attrapons en un pour taper sur les autres aurait dit ma môman, un brin défaitiste, un tantinet va-t-en-guerre…

Depuis que cette séquence électorale inédite s’est achevée et s’est illico embourbée dans des déclarations imbéciles qui ne servent ni la vérité, ni l’élan républicain, ni le quotidien des citoyens, je me prends à regretter que l’alliance improbable et hétéroclite de la NUPES n’ait finalement pas gagné les élections. Non pas que je sois déçu que Mélenchon n’ait pas réussi son hold-up électoral fondé sur une escroquerie constitutionnelle (non, on n’élit pas un premier ministre…). Non pas que je sois convaincu de la pertinence et de la crédibilité économique de leur projet. Non pas que je leur pardonne leurs outrances. Mais…

Mais ça aurait pu être chouette de voir la NUPES mettre en œuvre tout ou partie de son programme, tout ou partie de ses promesses… Rétablir l’ISF, taxer les profits spécualtifs indécents des riches, augmenter le SMIC, peut-être même trouver une pirouette pour évacuer plus que le temps d’une mandature le spectre de la retraite à 65 ans… Un peu comme en 1981, quand Mitterand a voulu « changer le vie ». Mauroy premier ministre a fait passer des textes économiques (le plus emblématique restant les 35 heures) qui ont effrayé le « capital ». Et puis un an plus tard, y’a eu le virage de la rigueur et de la réalité économique. Parce que la France ne pouvait (et ne peut toujours pas) faire l’impasse sur un environnement mondial qui conditionne un peu ses marges de manœuvres (il conditionne beaucoup même, trop peut-être ?). Il y aurait eu des avancées, il y aurait eu des décisions bousculant les dogmes du grand capital, des grilles de salaires nouvelles etc. Des trucs sur lesquels, une fois votés, il n’est pas possible de revenir. Et comme pour les décisions économiques de 1981, la France patinerait, perdrait temporairement de son crédit à l’international, mais finalement des décisions que le marché et les dogmes économiques finiraient par digérer. et la droite reviendrait au pouvoir… C’est toujours en bousculant l’ordre établi (pour ne pas dire fossilisé) que le peuple a obtenu des avancées. On est encore dans un monde où il est utile de botter l’arrière-train des dogmes pour les faire évoluer. Certes il y’a plein de choses qui ne sont pas « raisonnablement raisonnables ». Mais si on attend que ça soit « faisable » on n’avancera pas. Pusiqu’on aime bien se gargariser de notre grandeur passée, n’oublions pas que la France est autant celle des Lumières que celle des révolutions…

Après tout, les lois de la physique ont démontré que théoriquement, un bourdon ne peut pas voler. Mais comme le bourdon ne connait pas les lois de la physique, il vole ! Il me semble que le parallèle avec le politique s’impose…


La deuxième raison pour laquelle une victoire franche de la NUPES ne m’aurait pas totalement déplu, c’est que ça aurait contribué à rabaisser le caquet de l’extrême-droite. Je ne supporte pas de voir tous ces politiques rances, moisis, aigris, malfaisants, nauséabonds, racistes prétendre parler au nom des français. Je fais partie des français et je refuse qu’on parle en mon nom dans ces termes-là.
Je suis bien conscient de la faiblesse « politique » de mes raisonnements, mais vu l’état du monde…
Entre une guerre aux portes de l’’Europe, une Amérique en plein débâcle démocratique et sociétale, une Chine qui prend insidieusement le contrôle des richesses du monde, une planète en état de choc qui enchaine crises de croissance et fièvres climatiques, une scène musicale dominée par Wejdène et Jul, une société gangrénée par des diktats moraux rétrogrades et discriminatoires, un monde où l’on fait porter la responsabilité ses pandémies aux pangolins et aux chauve-souris, je suis conscient d’avoir de la chance d’afficher bientôt 65 ans au compteur. J’ai vécu la plus belle part de ma vie sans les angoisses d’aujourd’hui.

Certes on peut ré-écrire l’histoire et culpabiliser après coup… mais le mal est fait, j’en ai profité parce que pour ma génération, aveuglée par l’inconscience et le sentiment de toute puissance que procurait le progrès technologique, il n’y avait pas la place pour l’inquiétude. Le catastrophisme prémonitoire de Réné Dumont, buvant symboliquement un verre d’eau à la télé, lors de la présidentielle de 1974 était anecdotique.

Les discours de Cousteau ou d’Haroun Tazieff n’imprimaient pas alors qu’on était des « groupies » de la beauté de leurs reportages. Il n’y a pas de cynisme quand j’écris : j’ai eu de la chance d’être gamin dans les années 60-70. C’est une époque où mon enfance, mon adolescence et ma jeunesse ne m’ont pas été volées par les angoisses et les crises du monde… J’ai eu la chance d’avoir 20ans à une époque où croire en l’avenir n’était pas un signe d’inconscience ou de faiblesse intellectuelle. J’ai eu la chance d’être jeune à une époque où il n’était pas incongru de chanter « C’est beau la vie ! »

Isabelle Aubret – C’est Beau La Vie

Do you hear the people sing ?

Depuis 1974, j’avais 17 ans et donc pas l’âge ni le droit d’exprimer mon avis, je n’ai raté aucun débat d’entre deux tours. Ça fait donc 8 confrontations sur 9 présidentielles (puisqu’il n’y a pas eu de débat en 2002 entre Chirac et LePen père)…

Autant dire que j’en ai entendu des approximations, des promesses, des foutaises, des mensonges et des petites phrases. Je les ai vécus avec plus ou moins d’intensité ces affrontements, ces confrontations, ces face-à-face plus ou moins courtois, plus ou moins feutrés… et généralement peu constructifs.

J’étais évidemment devant ma télé hier soir…

J’avais une certaine inquiétude à l’idée que Marine Le Pen pourrait faire un bon débat. Car l’impact médiatique d’abord et politique ensuite aurait été dévastateur. On nous a tellement expliqué en amont qu’elle avait appris, qu’elle avait préparé, qu’elle avait mûri, grandi, évolué et que les erreurs de 2017 étaient le passé. On avait tellement entendu qu’il était impératif pour elle d’effacer des mémoires le souvenir ridicule de sa précédente prestation.

On avait tellement insisté par ailleurs sur le fait que Macron ne serait plus dans le même fauteuil confortable du newbie… Avec un bilan à défendre ou plutôt avec bilan à occulter.

Et puis…

Et puis à trop vouloir paraître présidentiable, polie, bien propre sur elle et ferme-mais-courtoise, Marine Le Pen a oublié d’être lucide. Après avoir tempêté contre un président-candidat fantôme qui refusait le débat, elle a elle-même oublié hier soir la confrontation. En 2017 elle avait attaqué bille en tête son adversaire à en oublier de parler de son programme… Là, en 2022, elle a tenté de dérouler son programme mais a oublié les arguments les plus évidents pour mettre Macron en difficulté.

Les gilets jaunes ? Seulement évoqués comme la conséquence d’une décision politique et économique. Pas comme le symbole d’une incompréhension et dun fracturation profondes de la société…

Pas d’attaque sur la suppression de l’ISF…

Pas d’attaque sur Benalla et sur les casseroles traînées par certains proches, ministres ou autres…

Pas d’attaque sur la réforme avortée des retraites, c’est-à-dire sur la reculade du gouvernement…

Pas d’attaque sur les simulacres de concertations citoyennes, qu’il s’agisse du Grand Débat et ses « cahiers de doléances » fantômes ou la Convention citoyenne sur le climat et le rejet dans le bac à compost idéologique des 150 propositions qui devaient pourtant être reprises telles quelles par le parlement…

Pas d’attaque sur la gestion chaotique de la pandémie…

Pas d’attaque sur Mc Kinsey…

Comme si, sur tous ces sujets, elle ne sentait pas sûre d’elle et/ou qu’elle craignait des retours de boomerang.

En retour, elle s’est faite attaquer par Macron sur ses relations avec Poutine certes mais surtout sur ses mesures concernant le pouvoir d’achat, sur l’interdiction du voile… C’est-à-dire qu’elle a eu en face d’elle quelqu’un de pugnace qui n’hésitait pas à parler de son propre bilan et à l’assumer et qui s’est payé le luxe de lui faire boire la tasse sur les thèmes que tout le petit monde des observateurs présentait comme ses points forts. Et j’ose confesser que j’ai adoré cet échange concernant le recours au référendum sur la question de l’immigration :

MLP : Vous n'avez pas lu mon projet de loi ! 
EM : Non, mais j'ai lu la constitution !

Autant dire que j’ai été surpris. Pas dépité, évidemment non. Mais j’ai été soulagé de voir un président-candidat – pour qui je vais voter par raison plus que par conviction (contrairement à 2017) – ne pas sortir déchiré, ni même vraiment égratigné de ce débat.

J’ai envie de croire qu’il y aura au moins 10 points d’écart entre les deux candidats au soir du 2ème tour… Mais je crains déjà les commentaires déconnectés et surréalistes des partisans de Macron que je n’imagine pas capables de modestie et de lucidité. Déjà, lors de la soirée électorale du 1er tour j’ai entendu certains macrondolâtres – après qu’Hidalgo, Jadot, Roussel aient appelé clairement à voter Macron et non pas seulement « contre M. Le Pen » – se réjouir que le projet de Macron était approuvé par une majorité de Français. J’ai entendu, j’ai ouvert des grand yeux, j’ai soupiré et j’ai eu envie de leur dire de fermer leurs gueules…

Ben non. Evidemment non. Certes en pourcentage et en nombre de voix, Macron obtient un score supérieur à 2017. Mais à quel prix ?

J’ai trouvé particulièrement stupide (mais est-ce vraiment une révélation) l’arithmétique de ces représentants du R-Haine qui déclaraient le soir du 1er tour que si Macron faisait 28%, c’est que 72% des français étaient contre lui. Que dire alors de leurs 23% et de leur « crédibilité » et de l’adhésion à leurs propositions et à leur vision nauséabonde de la France ? Faut pas manipuler les chiffres sans un minimum d’intelligence et de modestie…

Moi dont le vote ne sera donc pas seulement un vote de « barrage à l’extrême-droite », je crains que la majorité actuelle oublie qu’elle marche sur un champ de mines. Celui d’une France qui s’est sentie bafouée, humiliée et qui n’a pas envie qu’on fasse son bonheur contre son gré. Cette France-là veut qu’on l’entende, qu’on l’écoute et qu’on la respecte.

En tout cas, alors que je fais partie des privilégiés, j’ai envie qu’on ne l’oublie pas cette France « d’en bas », cette France des « sans-dents », cette France des « gens de rien » pour que le prochain quinquennat ne soit pas qu’une série de chiffres, d’indicateurs et de statistiques. Pour que ce prochain quinquennat soit tout simplement mais impérativement plus humain.

Samedi de manifs après samedi de manifs, j’ai fini par garder au fond de moi une crainte sourde dont je ne réussis pas aujourd’hui à me défaire. Non, pas la peur de la révolution, pas la peur du « grand soir » mais – après avoir vu comment les manifs de ces dernières années pouvaient dégénérer, après avoir entendu la violence des propos tenus en particulier contre Macron – tout simplement la peur de mouvements désordonnés, violents et jusqu’au-boutistes de gens qui s’auto-justifient et s’auto-amnistient à coup de « si on ne casse pas, on ne t’écoute pas ». Ce qu’en d’autres temps on appelait « le cri du désespoir »…

La France va mal, ma bonne dame, et c’est pas facile d’être centriste, vous savez ! Et voter Macron au 2ème tour n’empêche pas d’être lucide et exigeant…

Do you hear the people sing?
Singing the song of angry men?
It is the music of the people
Who will not be slaves again!
When the beating of your heart
Echoes the beating of the drums
There is a life about to start
When tomorrow comes!
Les Misérables – Do You Hear The People Sing

J’avais rêvé d’une autre vie…

Depuis que j’ai l’âge, j’ai toujours voté. Toujours par conviction. Ou presque…

En 2007, j’avais voté Ségolène Royal, pas par adhésion, mais par rejet viscéral de Sarkozy. En 2017 j’ai voté Macron avec enthousiasme…

En 2022, si je dois qualifier mon vote, ce sera un vote par dépit.

J’ai toujours eu ce qu’on appelle une sensibilité centriste. Centre-droit certes, mais centriste quand même. Ce que beaucoup de « bien-pensants », qu’ils soient de droite ou de gauche, moquent, raillent et caricaturent. Je ne crois pas au manichéisme en politique. Il y a des bonnes idées, des bonnes propositions, des bonnes solutions à droite comme à gauche. Sauf aux extrêmes évidemment. F. Bayrou – pour qui j’ai voté en 2002, en 2007 et en 2012 – a trop souvent été affublé d’une réputation d’invertébré sans conviction alors que de mon point de vue, c’était un visionnaire, un précurseur. Et je me désole de voir les politiques, dont la bouche dégueule de rassemblement et d’unité à longueur de discours, agir toujours de façon partiale, sectaire et dogmatique.

Desproges avait raison de rappeler cette citation de Raymond Aron : « Qu’on soit de droite ou qu’on soit de gauche, on est toujours hémiplégique. » (Même si malicieusement il rappelait que R. Aron était de droite…)

De mon point de vue, l’intelligence, c’était De Gaulle avec des ministres communistes… Hors cohabitations, je trouvais séduisantes les nominations de ministres « de gauche » ou « divers gauche » par Sarkozy. Mais très vite les Bernard Kouchner, Martin Hirsch, Frédéric Mitterrand, Fadela Amara ont été qualifiés de traitres avant ou au lieu d’être jugés sur leur action.

C’est donc pour ça qu’en 2017, voter Macron m’est apparu comme une évidence et un véritable espoir de voir bouger les lignes…

Et puis… Si je devais ne retenir qu’une mesure prise sous la présidence Macron, ce serait la baisse de 5 euros des APL. Parce qu’il y a tout dans cette mesure pour être et rester un symbole. Macron est élu en mai, la mesure est prise en juillet… 5 euros ça parait ridicule, mais c’est pris à ceux à qui au contraire on devrait, on aurait dû donner. Et ça s’est accompagné d’explications et de justifications qui étaient injurieuses, insultantes pour ceux qui osaient se plaindre ou critiquer. Au fond de ma sensibilité « sociale-démocrate », je me suis senti piétiné, bafoué, trahi… Je n’avais pas voté pour ça !

Ensuite il y a plein d’évènements. Des images, des déclarations, des approximations, des contre-vérités mais finalement peu d’hésitations…

Il y a eu des « coups » : le plan Borloo présenté en grandes pompes et enterré aussi sec, le Grand Débat, la Convention pour le climat… Des machins qui ont fait croire, qui ont fait espérer et qui se sont révélés être de vastes enfumages mâtinés de mépris… Faire croire à la démocratie et lui tourner le dos, c’est, dans ma grille de lecture citoyenne à-moi-que-j’ai à la limite de l’impardonnable et de l’insupportable…

Il y a eu des ministres qui m’ont fait vomir : Darmanin, Schiappa, Blanquer, drapés dans leur suffisance, leurs certitudes, leur arrogance et leurs approximations…

Je suis un peu moins négatif sur la gestion de la pandémie car je ne pense pas que quelque politique que ce soit aurait fait mieux. Ou aurait moins hésité. Face à l’inconnu je ne critique pas les erreurs, mais le refus de reconnaitre ses erreurs ou le refus d’assumer ses rétropédalages, oui ! Malgré des fautes de communication évidentes, j’ai le sentiment que Macron a fait le boulot pour éviter le pire au travers de son fameux « quoiqu’il en coûte ». Il l’a dit, il l’a fait. Et le pire a sans doute été évité. Sur le plan économique au moins.

Il y a d’ailleurs beaucoup de questions à se poser sur le comportement et la cohérence d’un peuple français qui passe son temps à réclamer l’interventionnisme (financier) de l’Etat, qui souhaite voir réapparaitre le concept de l’état-providence à coup de chèques et d’aides diverses et multiples (tout en réclamant la baisse des impôts), mais qui vote ou s’apprête à voter pour une droite extrême, ultra-libérale et colbertiste… Une droite héritière du poujadisme, donc située au delà de toute crédibilité humaine, démocratique et économique…

Alors non, je ne suis pas satisfait d’un président qui déclare avoir appris, avoir compris, avoir mûri mais qui, dès qu’un micro se présente… trouve des formules rances et insultantes ou approximatives qu’ensuite il regrette en nous fixant avec son regard bleu. C’est usant de vouloir soutenir Macron… J’étais plutôt intéressé par sa vision de 2017 et son dépassement des clivages partisans. En phagocytant la droite et la gauche de gouvernement, en faisant exploser les partis traditionnels il n’a finalement œuvré qu’au bénéfice des extrêmes. Peut-être que le peuple français est trop cartésien pour accepter l’idée des chemins de traverse et des voies alternatives… Peut-être aussi que Macron a oublié qu’il avait aussi promis de gouverner en s’appuyant sur la gauche plus sociale que dogmatique. Peut-être enfin que les cautions de gauche ont été anesthésiées ou mises dans le formol. On les entend peu, elles semblent impuissantes à infléchir les discours et les décisions… Se souviennent-ils qu’ils étaient à gauche ?

Et puis voilà qu’arrive l’heure du choix… Je viens de passer plus d’une heure à lire les professions de foi reçues ce matin. Même celles des trotskystes irréalistes et celles de l’extrême-droite nauséabonde.

Je ne suis convaincu par aucun programme. Tout est trop beau pour être crédible ou trop souvent (à mon sens) totalement à côté de la plaque… J’exclus par principe les chantres du racisme et de l’exclusion qui promettent que le bonheur peut s’épanouir sur la mesquinerie, le repli, l’égoïsme, la peur et le rejet de l’autre. Je ne peux pas souscrire non plus à des programmes qui me semblent plus marqués par la démagogie, la démesure et la débauche de moyens en tentant de faire croire qu’ils sont capables de dépenser sans augmenter les impôts. Ça vaut pour Pécresse, Hidalgo ou Roussel.

Pour Mélenchon – outre le rejet quasi physique de sa personne – j’ajoute que sa vision d’une France non alignée me paraît fondamentalement imbécile…

Le rare programme qui ne semble pas déconnecté en termes de promesses (parce qu’il y a finalement peu de chiffres dedans) serait celui de Macron. Mais il est tellement creux. Un peu comme une meringue qui est belle sur le présentoir, qui est appétissante, mais qui s’évanouit dès qu’on la croque et qu’on la laisse fondre sur la langue. Je pourrais lui trouver des excuses à cause de la pandémie puis beaucoup plus récemment à cause de l’Ukraine…

Oui, je pourrais… Mais pas vraiment en fait. Quand je lis dans sa profession de foi « Egalité entre les femmes et les hommes : c’était la grande cause du quinquennat qui s’achève, ce sera la grande cause du quinquennat qui vient », j’y vois l’illustration du temps gaspillé ou de l’enfumage…

Reste Jadot. Et je pense que c’est son bulletin que je glisserai dimanche dans l’urne. Certes, j’ai des questions, des hésitations, mais j’ai envie de croire que sa vision peut permettre de faire avancer les choses pour une échéance qui irait au-delà des 5 prochaines années. Je ne vois pas Jadot au second tour, mais j’ai envie que son score soit plus important que ce que prévoient les sondages pour peser peut-être un peu plus dans la balance du prochain quinquennat.

Et le 24 avril, pour le second tour, je voterai Macron. Par dépit… Parce que, quoiqu’on en dise, face à Le Pen ou à Mélenchon, il sera finalement le moins pire.

(P.S. J’ai du mal, mais vraiment beaucoup de mal à imaginer qu’on puisse contribuer à laisser Marine Le Pen s’installer à l’Élysée. Soit en votant pour elle, soit en laissant faire par l’abstention ou le vote blanc…Pour moi, ce sera toujours «Tout sauf l’extrême-droite ». Jusqu’au bout ! )

#mARTch : Une œuvre engagée

Je n’ai jamais rejeté la chanson de Sardou « Je suis pour » car je l’ai toujours comprise non pas comme un manifeste pour la peine de mort, mais comme une chanson sur la loi du Talion. Une chanson exprimant la réaction viscérale et non pas théorisée d’un père fou de chagrin.

En revanche lorsque Julien Clerc interpréta « L’Assassin Assassiné », le magnifique texte de Dabadie, un texte que je qualifierai d’impressionniste, ayant le parti-pris du quotidien pour dénoncer l’irréparable, ce jour-là j’ai pris une claque qui a balayé mes derniers questionnements, mes dernières hésitations sur ce que devait être ma position :

Et puis ensuite… ça va très vite
Le temps que l’on vous décapite
Si je demande qu’on me permette
À la place d’une chanson
D’amour peut-être
De vous chanter un silence
C’est que ce souvenir me hante
Lorsque le couteau est tombé
Le crime a changé de côté

Sur le thème de l’œuvre engagée, j’ai envie également de citer « Take me to Church » de Hozier dont j’ai appris qu’une des clés était, à côté de l’explication du sentiment amoureux, la dénonciation de l’emprise de l’église et l’oppression qu’elle fait peser sur certaines personnes… Et le clip est fort, puissant, violent, glaçant…Indispensable cependant…Il me fait pleurer…

Demain le #mARTch du jour aura pour thème : « Une BD ».

#FebruARTy : Une œuvre représentant un(e) enfant

J’avais en tête de mettre en vedette la photo de « l’Afghane aux yeux verts », ce célèbre portrait d’une enfant pris en 1984 par Steve McCurry (dont j’ai appris qu’elle était, depuis le retour des talibans, réfugiée à Rome).

Photo célèbre à juste titre en raison de la beauté grave de cette jeune fille dont le regard intense traduit la perte de l’innocence de l’enfance… Réfugiée, partie sous les bombes après que ses parents aient perdu la vie, elle a soudainement basculé dans le monde brutal des adultes. Un regard qui montre tant de gravité, de maturité, de dignité, tant de vécu, hélas…

Et puis magie des internets, j’ai trouvé également cette photo d’enfant (pour laquelle je n’ai trouvé aucune indication, auteur, date, localisation…) Je suis fasciné par le contraste entre la misère et la saleté de l’endroit et le sourire insouciant que l’enfant offre au photographe. Dans ce qui pourrait être un bidonville, elle reste une enfant…

L’insouciance, je crois que c’est ce que l’on doit offrir à tous les enfants, et le parallèle entre ces deux visages est bouleversant.

Demain le #FebruARTy aura pour thème : « Un bâtiment religieux impressionnant ».

La vérité si j’mens !

Il était une fois un ministre qui avait tout pour réussir…

Quand il est arrivé au ministère, il avait dans sa besace une réputation plutôt flatteuse acquise au Rectorat de Créteil… Il passait alors pour quelqu’un de pragmatique et d’efficace… c’est ainsi que les médias le présentaient et, même si je faisais partie de la maison à l’époque, je m’étais moi-même laissé endormir sans réfléchir plus avant. Certaines informations auraient pourtant dû me laisser en alerte, comme beaucoup de mes collègues : il était à la manœuvre lorsque Sarko avait lancé l’idée du repérage précoce des enfants en difficulté, ou plus exactement des enfants « à risques » … Mais à côté de ça, il avait façonné une réputation de pragmatisme et d’expérimentation qui laissaient penser ou espérer qu’un vent nouveau allait souffler dans les couloirs du ministère.

On a l’habitude de vilipender le ministère pour sa lourdeur et son conservatisme – pour ne pas dire son immobilisme – mâtiné de pédagogisme, ce dernier qualificatif servant à camoufler l’absence de moyens. Mais on ne peut pas accuser une maison d’être sclérosée et de refuser de se remettre en question lorsque le ministre a bousculé les directions opérationnelles et forgé un outil à sa main avec les hommes et les femmes qui vont bien. Il y a eu de vrais changements de personnels au ministère, des fonctionnaires choisis et nommés par le ministre pour inventer et implanter une nouvelle gouvernance… Une gouvernance made in Blanqu*r, une gouvernance de gestionnaires et non de « techniciens de l’éducation »…

Un exemple de la primauté de la gestion au ministère : la nomination de C. Av*nel comme rectrice de l’Académie de Versailles. Sa légitimité ? Avoir travaillé au « bureau éducation et enseignement supérieur »… du ministère du Budget. Je ne peux pas oublier le pensum qu’elle nous avait infligé lors de la réunion de rentrée en 2019 (alors qu’elle avait été nommée 10 mois auparavant) et qui laissait voir une spécialiste des chiffres, des indicateurs, des indices mais en aucun cas une fibre « éducation ». Ce discours, devant un parterre d’inspecteurs et de chefs d’établissement nous avait laissés froids et réservés. Pour ne pas dire circonspects et déçus. C’est idiot à dire mais, « nous », les chefs d’établissement, on a besoin de se sentir aimés et soutenus. Tout comme les profs dans nos établissements ont besoin d’être reconnus et de se sentir appréciés par leur proviseur. Il faut déjà savoir délivrer un discours qui mobilise, qui entraine et qui rassure… Et quand on prend ses fonctions, il faut, pour que l’on puisse prendre ses marques, trouver les mots et accepter parfois de caresser dans le sens du poil. C’est de la politique, une notion assez proche de la démagogie et de l’hypocrisie, à moins que l’auditoire ne perçoive en filigrane qu’on est prêt à mettre ses tripes sur la table, à ne pas rester un ectoplasme forgé à coup de statistiques, de chiffres et d’indicateurs froids. C. Av*nel n’avait pas su franchir la barrière de l’écran de son ordinateur. Son discours avait été écrit par des gens de dossiers, pas par des gens de terrain.

C. Av*nel est restée pour moi un exemple magistral du ratage de Blanqu*r au ministère. C’est sans doute quelqu’un de valeur mais qui a sa place à une direction rue de Grenelle pas sur le terrain. Elle m’a toujours fait penser à un promoteur à qui on confie un endroit paradisiaque et qui le bétonne « pour que tout le monde en profite » sans vouloir comprendre que le bétonnage va le dénaturer durablement…

En comparaison, je garde le souvenir d’un recteur d’exception, A. Boiss*not. L’écouter parler de pédagogie, c’était aller à la rencontre de l’éducation au service des élèves, au service de la nation. C’est vrai aussi que j’ai un souvenir plus personnel lorsqu’en Août 2006, il m’avait reçu au rectorat à l’occasion de ma reprise de fonction après 6 mois de suspension. Rendez-vous à 16h00 à Versailles, j’étais évidemment arrivé avec 50 minutes d’avance. J’avais attendu dans ma voiture et je ne m’étais présenté à son secrétariat que 10 minutes avant l’heure. Et à 16h00 précises, le recteur Boiss*not avait lui-même ouvert la porte, en bras de chemise, en me tendant une main grande ouverte, disant simplement : « Bonjour Monsieur le Proviseur ! » En trois mots il m’avait rétabli dans ma fonction, apporté sa confiance, remis sur les rails… Il connaissait le poids des mots, le poids des symboles, la place de l’humain dans une approche hiérarchique bien maitrisée. Il connaissait les chiffres, il maniait avec virtuosité les indicateurs, il traçait en quelques mots des courbes virtuelles et des perspectives… mais il n’oubliait jamais que si on travaille avec un ordinateur, on parle de et avec des êtres humains, des profs, des chefs d’établissement, des élèves, des parents… Il incarnait bien cette citation de Montesquieu que j’ai essayé de ne pas trahir pendant 25 ans de direction : « Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux. »

J’étais favorable à la réforme du bac, à la fin des filières et de l’hégémonie des maths. Les généreux et ambitieux principes ont été sabotés par une approche bureaucratique caricaturale. Partant d’une bonne idée, le ministère s’est ingénié à faire rentrer des obligations extérieures (ParcourSup par exemple) dans un calendrier qui n’était pas prêt ou conçu pour ça. Genre, des évaluations qui mettaient tout le monde sous pression tout au long de l’année au lieu de dédramatiser l’examen. Tout ça me faisait penser à un gamin de 4 ans qui cherche à coup de talon à rentrer la pièce d’un puzzle à une place qui ne lui est pas destinée. Bien écrasée, la pièce rentre, oui… Bilan remarquable d’un ratage méticuleusement organisé alors que j’ai pendant des années entendu les élèves, les parents et certains profs hurler contre le caractère imbécile d’un bac où tout se jouait sur une semaine d’évaluations à marche forcée, le ministre s’est trouvé face une bronca unanime contre sa réforme. Bâclée. Bricolée. Sabotée…

J’étais favorable à la suppression des filières, ayant subi dans ma scolarité le diktat des maths et de l’allemand comme sources de sélection. Las, l’absence de liaison préparée et actée par l’enseignement supérieur couplé avec ParcourSup a balayé et renvoyé (temporairement ?) la pertinence d’un enseignement adapté à toutes formes raisonnées de compétences. La course à la performance et à la sacralisation de la note comme clé de la réussite a détruit de l’intérieur l’intelligence d’une nouvelle approche. Certes, j’ai souvent critiqué la sclérose de l’approche parentale pour qui la note était le seul indicateur qui vaille : j’ai des souvenirs de parents pour qui la note obtenue par leur progéniture devait être obligatoirement supérieure à la sacro-sainte moyenne sous peine d’une part de barrer l’avenir de l’enfant chéri mais aussi de disqualifier le prof dont la notation était fatale et donc symptomatique de son incompétence.

La note, la note, la note… La moyenne, la moyenne, la note, la moyenne… Oui, à mon sens, les parents et les élèves ont trop souvent une vision tronquée et faussée de l’évaluation. Mais puisque le système, au travers de ParcourSup , met en avant la prééminence de cet indicateur, qui blâmer ? On demande aux enseignants de remplir des avis circonstanciés et aux élèves d’expliciter leur motivation pour suivre telle ou telle filière. Mais QUI a le temps ou la volonté de tout liire et de tout exploiter ? On va au plus simple, à la note, et au rang de chaque élève dans le groupe, puisque cet « indicateur » existe encore et toujours…

Alors finalement, ce billet… pour dire quoi ?

Je ressens un profond sentiment de déception et de tristesse lorsque j’entends celui qui fut mon ministre en qui je croyais, qui m’avait fait espérer des réformes profondes et pertinentes.

Dire que Blanqu*r s’est fait bouffer par le ministère, sa lourdeur, ses habitudes, sa sclérose, son inertie ? Non, Blanqu*r projette une nouvelle école grâce à une administration qu’il a patiemment façonnée et qui « gère » à coup d’indicateurs froids, désincarnés, déshumanisés… et facilement falsifiables.

J’ai évidemment en mémoire la façon dont, par exemple, on évalue l’impact d’une grève. Les établissements doivent remonter à 9h00 du matin le nombre de grévistes. Si je déclare 5 grévistes, ce chiffre est rapporté à l’effectif total des enseignants de l’établissement. 5 grévistes sur 100 profs, ça fait 5%. Mais bien sûr, jamais ô grand jamais les 100 profs ne travaillent au même moment. Le matin à 9h00 je n’ai que 25 enseignants qui ont cours. Du coup le taux passe de 5 à… 20%. Et si dans le lot j’ai 2 profs malades et non remplacés… Mais le ministère, au lieu de demander un taux établi par le chef d’établissement, ne veut qu’un nombre brut. Et falsifie donc sciemment, volontairement la réalité.

Cette façon de manipuler les chiffres est devenue un outil politique érigé en propagande, le mensonge est devenu l’alpha et l’oméga de la communication ministérielle. Même si je ne suis plus en poste – et j’en suis fort aise – je fronce les sourcils dès que j’entends que le ministre de l’Education la Manipulation Nationale va prendre la parole… Je tousse (dans le respect des gestes barrières) lorsque j’entends les statistiques mensongères égrenées par le ministre devant les journalistes ou devant la représentation nationale… Comment affirmer que 90% des personnels de l’Éducation sont vaccinés puisqu’aucune collecte d’information de ce type n’est actée ? Je manque de m’étouffer en regardant le ministre s’accorder des satisfécits bidons alors que la réalité du terrain devrait l’amener à se couvrir le front de cendres…

Oui, Blanqu*r aurait pu être un grand ministre de l’Éducation Nationale. Il avait des idées, il a osé bousculer la maison de l’intérieur en changeant nombre de directeurs et en nommant des fonctionnaires prêts à le suivre. Il a pu profiter de l’inertie d’un monde syndical à l’agonie, s’étouffant tout seul dans ses contradictions corporatistes d’un autre âge. Il a tout foiré par aveuglement. Par soif du pouvoir peut-être. Il n’a jamais su accepter ou reconnaitre qu’il avait tort ou qu’il s’était trompé…

Sur son bulletin trimestriel j’aurais envie d’écrire simplement : Quel gâchis ! Le refus de tenir compte des consignes vous a ôté la possibilité de progresser. Soyez lucide, écoutez les conseils et acceptez de remettre à plat vos fausses certitudes. N’est pas autorisé à redoubler, il faut réfléchir à une autre orientation.

(N.B. j’ai volontairement tronqué les noms propres pour ne pas être référencé pour ce billet)