#mARTch : Un livre qui propose une vision du futur / un livre de SF

Je me définis souvent comme un optimiste indécrottable, en m’appuyant sur la célèbre formule du philosophe Alain « le pessimisme est d’humeur, l’optimisme est de volonté », j’ai du mal a être totalement serein quand je pense au futur ou que je l’évoque…

Entre les guerres, la pollution, le quinoa et le tofu, le dérèglement climatique, la montée des extrémismes, les pandémies, les prises de position d’Yseult, les complotistes et toutes les formes d’égoïsmes que cela fait émerger, je me dis que j’ai eu de la chance de naître il y a longtemps… et que, finalement, ne pas avoir d’enfant aujourd’hui m’ôte une sacrée source d’angoisses et de stress…

Et ce faisant je me réfugie moi-même dans une attitude qui se révèle être sacrément égoïste… Pffffff !

Alors si je dois sélectionner un livre qui propose une vision du futur…

J’ai d’abord pensé évidemment à 1984, magistralement désespéré et désespérant, captivant et éprouvant… mais j’ai déjà évoqué ( le 01 mars ) ce livre de George Orwell.

Donc, pour ce thème, ce sera La guerre des mondes de H.G. Wells.

Parce qu’on peut imaginer tant d’allégories derrière ces extraterrestres agressifs et belliqueux. Parce que les humains triomphent à la fin… Mais… Mais moi, malgré mon optimisme de façade, j’ai toujours été un peu dérangé que ce soit par la maladie qu’on se débarrasse de l’invasion. Est-ce vraiment une victoire ou un avertissement ?

Demain le #mARTch du jour aura pour thème : « Votre meilleure expo / visite de musée »

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#mARTch : Le film que vous pouvez voir, revoir et rerevoir

Arf ! Voilà un choix qu’il est pas simple…

Tout dépend de l’état d’esprit dans lequel je suis, ou dans lequel j’ai envie de replonger. Je me souviens d’un temps où mon abonnement Canal-Plus-d’avant-Bolloré me permettait de voir certains films en multidiffusion à la fois sur Canal Plus et sur Canal Plus décalé. Soit 12 diffusions possibles en 15 jours. Et certains épisodes de Star Wars ont été vus, revus, re-revus, re-re-revus de cette façon… Toujours avec le même plaisir et le même émerveillement enfantin…

Je vais cependant citer deux films qui ont le don de me combler quand je suis d’humeur légère ou qui ont le pouvoir de me redonner le moral si j’ai un peu trop de gris à l’âme… Deux films que je connais presque par cœur, mais qui me touchent, m’émeuvent, me font rire toujours autant, deux films qui me donnent le sourire à la seule idée de les regarder une nouvelle fois. Deux films musicaux feel-good mais pas dénués de fond pour autant…

Priscilla, folle du désert, que j’ai déjà évoqué en février

… et Victor Victoria, incontournable ! Comment résister à ce tourbillon de perfection ?

Demain le #mARTch du jour aura pour thème : « Une œuvre engagée ».

Après Pollox (Le coeur nu)

© Bruno Catalano

Le paysage défile sous mes yeux à une vitesse quasiment hypnotique. Les prairies succèdent aux bois… Parfois une route serpente, vite oubliée et remplacée par de nouvelles étendues encore vertes. Mais ce n’est plus le vert tendre du début de printemps. Les champs de blé, par exemple, commencent à tirer vers le jaune, signe du manque d’eau ou d’une prochaine moisson. Je ne sais pas, je suis nul en plantes.

Pendant que le TGV file dans la campagne, que la ventilation du train me gèle plus qu’elle ne me rafraichit, je rêvasse, le casque audio vissé sur les oreilles.

Here comes the rain again / Falling on my head like a memory / Falling on my head like a new emotion…

J’adore les surprises offertes par le mode aléatoire de mon iPod. Il y a deux minutes, avant Eurythmics, c’étaient les Beatles qui cherchaient à me convaincre…

Here comes the sun do, do, do / Here comes the sun / And I say it’s all right / Little darling, it’s been a long cold lonely winter / Little darling, it seems like years since it’s been here…

Dehors j’aperçois un ciel couleur de « printemps normand ». Pas gris. Pas vraiment ensoleillé, un ciel bleu encombré de lourds nuages. Pourtant on est en Bourgogne. J’ai quitté la région parisienne pour rejoindre Lyon dans un premier temps et partir ensuite vers…

Vers quelle destination ? L’an passé à la même époque, je m’étais laissé séduire par le Jura et j’avais atterri dans un trou-du-cul un bout du monde appelé Pollox.

Je voulais l’anonymat, la solitude, l’isolement, j’avais trouvé la tranquillité, l’oubli, la rupture souhaités. 

Et l’histoire recommence… Pouvait-il en être autrement, maintenant que je suis devenu un vieux, un retraité, un spectateur de la vie…

Ma rencontre avec Marie a vite tourné court. Pas l’énergie nécessaire pour endosser le rôle qu’elle aurait souhaité me confier pour Romain, son fils. Je garde maintenant pour moi ce désir d’enfant comme une blessure secrète. Une de plus…

Je ne voulais pas d’enfant à 20 ou à 30 ans. Je ne m’imaginais pas en avoir…

Et puis, comme souvent, quand les choses deviennent impossibles, l’envie apparait. L’envie, le désir, se font frustration. Puis douleur. Et puis, parce qu’on n’est pas logique quand on a mal, il devient sentiment d’injustice. Avant de se transformer en absence impalpable mais, paradoxalement, terriblement présente et pesante… Un peu comme l’arthrose, ma nouvelle compagne : une douleur diffuse et latente. Mais l’arthrose du cœur ne se soigne pas avec des cachets d’anti-inflammatoires et d’harpagophytum…

Je garde donc au fond de mon cœur ce désir d’enfant fait de représentations lisses et d’images photoshopées par l’imagination et l’idéal. La menotte d’un gamin dans la main d’un adulte, un regard levé pour capter le sourire du père, une tête blonde nichée dans le cou de celui que le gamin se choisit comme héros, comme étant celui qui va le protéger… Je me voyais bien dans ce rôle de composition, je m’imaginais facilement être papa, même par procuration, par accident, par substitution. Cette idée m’a hantée lorsque j’avais 40 ou 50 ans. Mes cheveux blancs auraient été beaux dans les yeux d’un gamin. Mes rondeurs auraient été rassurantes et accueillantes pour ses chagrins. Et puis… Et puis j’ai trainé ce rêve pendant de nombreuses années de solitude, d’aventures inachevées, d’errances affectives. Et puis ce rêve s’est trouvé entouré du halo de l’inaccessible… Et puis j’ai eu 60 ans et plus… Et puis ce rêve a rejoint tous mes échecs sur la plus haute étagère de mes souvenirs…

Le paysage défile, à la vitesse du TGV m’empêchant de visualiser les fermes, les clochers, les bâtisses centenaires de la campagne bourguignonne. Parfois on longe l’autoroute et je me surprends à compter les voitures selon leur couleur.

Comme un gamin.

Je suis seul avec mes espoirs déçus et les chapitres inachevés de ma vie inventée…

Avant de quitter définitivement Paris j’ai contacté mon notaire. Ce petit Romain – qui ne sera jamais celui qui m’appellera papa – est devenu sans qu’il le sache, sans que Marie s’en doute, mon légataire. En signant les documents, j’avais le sentiment diffus de ma mort prochaine… sentiment combattu par cette envie de tout donner à un enfant choisi pour être mon fils… Tout donner sauf la chaleur de l’amour, sauf le réconfort d’une présence… Je donne ce que je peux… Cette idée de la mort qui accompagne forcément le mec de 60 ans seul et égoïste, m’a imposé de faire vite, d’agir sur un coup de tête. Léguer mes biens à un gamin, et survivre un peu grâce à ce qu’il fera, lui, de sa vie, plutôt que de laisser l’État tout prendre et me faire disparaitre administrativement. En écrivant ces mots je me rends compte, une fois encore, que le monstre d’orgueil et d’égoïsme tapi au fond de moi bouge encore… Vouloir survivre après la mort physique. Les hommes préhistoriques laissaient la trace de leurs mains sur les parois de leurs grottes, moi je signe des papiers pour exister encore un peu. Je gagnerai un jour de vie après ma mort : celui où Romain pensera à moi pour dire merci à mon souvenir…

Je repense à Fabien… J’aurais pu aller le voir mais… Rien que d’y penser je ressens une chaleur dans le cœur et dans le bas ventre. Voir une dernière fois son sourire peut-être ? Pour quoi faire ? J’ai tout effacé de lui dans mon portable. Son numéro. Ses messages. Ses photos. Ses textos. Il ne vivra plus pour moi que le temps que ma mémoire voudra bien lui accorder…

Bien calé dans mon fauteuil, je regarde mes compagnons de wagon. J’ai baissé le son de mon iPod en gardant les écouteurs sur ma tête. Mes lunettes de soleil contribuent à m’isoler de tout contact avec cette réalité confinée qui m’entoure. Deux rangs devant moi, j’entends une voix claire, à l’accent chantant. Une jeune femme qui parle et qui rit un peu fort sous les yeux d’un homme plus âgé. Le souvenir de Natou et de son Tony est là, j’aurais presque envie de la mettre en garde… De l’autre côté de l’allée centrale, une dame tout en noir. Muette. Digne. Droite. Sevère. Comme une veuve corse. Elle serre nerveusement entre ses doigts secs ce que je crois être un chapelet. Il ne me manque qu’un comte russe accompagné de son majordome et…

Ça serait marrant d’imaginer une tranche de vie, des rencontres, des chagrins, des joies, des amitiés dans un train… Une sorte de remake de « L’inconnu de l’Orient Express » avec plusieurs inconnus dans un tortillard… Je suis sûr que le soir dans mon wagon-couchette, j’aurais envie d’écrire une sorte de journal…

Je suis bientôt arrivé… le trafic plus dense sur les routes et autoroutes, l’effacement des champs mangés par des maisons anonymes et des immeubles empilés… Bientôt Lyon. J’y reste un mois et à l’automne je repartirai. Sans but. Je rêve d’un automne paisible, d’un hôtel ou d’une auberge un peu à l’écart. Je rêve de m’endormir sans souffrir. Oublier mes cachets, laisser mon corps reposer, faire un cocon pour ma solitude, laisser mon esprit et mes souvenirs égoïstes me tenir chaud…

Alors que le train entre en gare, j’ai en tête ce poème d’Appolinaire, « Automne malade » : « Les feuilles qu’on foule / Un train qui roule / La vie s’écoule… »

Personne sur le quai de gare pour m’accueillir… J’attrape ma petite valise, si lourde pourtant de mes chagrins, de mes peines, de mes échecs, de mes rêves inachevés…

Certains disent « tout est possible »
D’autres « tout n’est pas possible »
Mais moi ma cible
C’est de trouver ma vie perdue
Avec ta vie au coin d’nos rues
Je m’en vais, je m’en vais, je m’en vais
Je m’en vais, le cœur nu

Après Pollox (l’enfant d’un autre)

Rappel : mon personnage dans L’Auberge des Blogueurs, le jeu littéraire de l’été 2020.

Il fallait que j’aille parler à Maman. Aller sur sa tombe. Être seul avec elle. Être seul, sans elle. Lui dire à voix basse qu’elle me manquait, pour ne pas entendre cette petite voix lancinante qui me rappelait que c’est moi qui avais manqué notre dernier rendez-vous. Il faisait froid. Humide. Une chape de brume sur le cimetière étouffait le bruit de pas, des prières, des pleurs… Je lui ai parlé longtemps. J’ai caressé la pierre grise où était gravé son nom. J’ai sorti de ma sacoche la bouture de rosier que j’avais apportée, la griffe en acier toute neuve achetée la veille et le petit sac de terreau « spécial rempotage ». Maman aurait ri, mais aurait été ravie de me voir, pour la première fois de ma vie, tenter une expérience de « jardinage ».

Voilà. Avec un peu de chance, Maman aurait des roses pour l’accompagner…

Je suis allé voir le gardien du cimetière et lui ai demandé de veiller sur ce « rosier ». Il m’a écouté. Ses yeux bleu délavé me fixaient. Il a vu les larmes dans mes yeux. Il a entendu les sanglots qui s’étouffaient dans ma gorge. Il m’a souri tristement, a pris ma main avec beaucoup de douceur et m’a promis de faire le nécessaire en me confiant à mi-voix « ça sera bien de s’occuper de quelque chose de vivant ».

Je suis parti en sachant que je ne reviendrais pas sur cette tombe. Pas besoin, le sourire de maman dont je gardais le souvenir ne pouvait pas cadrer avec cet environnement, aussi bien agencé que lugubre…

J’ai marché longtemps, accompagné par des larmes qui ne coulaient pas…

J’ai marché longtemps, inquiet de me confronter à un présent indécis et inconnu. Trois mois que je vivais dans des bulles qui éclataient les unes après les autres… Pollox… Thonon… Quelques jours dans mon appartement de Lyon en gardant les volets fermés pour que personne ne sache que j’étais revenu. L’anonymat, l’effacement, la non-vie… finalement j’aimais bien. Ne rendre de comptes à personne. Ne parler à personne. Ne penser à rien d’autre qu’au moment présent avec des chansons dans mes écouteurs et les mots des autres pour emprunter les chemins factices d’une vie inventée sinon rêvée…  

Prochaine étape de mon incursion dans la vraie vie, Marie et son gamin. Pas seulement « son » gamin, mais peut-être aussi « mon » fils ?

J’ai eu du mal à retrouver ma voiture de location sur le parking… Je savais que c’était une allemande. Blanche. Ou grise peut-être ?

J’ai cherché longtemps, essayant d’être méthodique, passant d’allée en allée sur ce parking impersonnel et imbécile. J’ai actionné frénétiquement la télécommande jusqu’à ce que les clignotants d’une voiture s’allument près de moi.

Une allemande ? Non. Citroën…

Blanche ou grise ? Non. Noire.

Je suis décidément nul en voiture. Et en couleurs aussi… Et ce proverbe sanskrit m’est revenu en mémoire : « La vérité n’a qu’une couleur, le mensonge en a plusieurs »…

J’ai roulé pendant 2 heures, laissant derrière moi les ciels changeants de Normandie pour retrouver la brume terne et fade la région parisienne. Je me suis garé à quelques pas de la résidence où habite Marie en me promettant de me souvenir de la marque et de la couleur de la voiture…

Je suis allé m’asseoir sur un banc dans un square minuscule en face de son immeuble. Je n’ai pas contacté Marie. Je ne l’ai pas prévenue que j’étais « de retour »… Comment l’aborder ? Que lui dire ? Est-ce que j’aurais le droit, le courage de lui faire la bise ? Est-ce que je devais me contenter d’un « salut » distant ? Quelle idée idiote d’être venu ici, à l’improviste. Il était encore temps de repartir, de fuir une nouvelle fois… J’ai quitté le banc et…

J’ai reconnu sa silhouette que je qualifiais souvent de « parisienne » tant elle avait l’air de toujours marcher sur un catwalk. Ce balancement des hanches. La fluidité féline de sa silhouette. Sa chevelure auburn… Ah non, elle est devenue rousse. De plus en plus incendiaire, de plus en plus affolante, l’accélération de mes battements de cœur ne pouvait dire le contraire. Elle marchait d’un bon pas, radieuse alors qu’elle ne souriait même pas. A qui aurait-elle souri ? Pourquoi aurait-elle souri ? Seule dans la rue… Seule dans la lumière blafarde de cette fin d’après-midi de février…

Non. Pas seule. A ses côtés trottinait un petit bonhomme qui, lui, souriait magnifiquement. Un petit bonhomme blond, vif, le visage expressif, le regard avide de vie, tourné vers les rares passants, vers les nuages, vers les pigeons, vers tout et rien. Un petit bonhomme radieux à l’image de sa maman. Un petit bonhomme si radieux, si lumineux, qu’il était évident qu’il ne pouvait pas être mon fils. Mais qu’il était beau. Que j’avais envie de l’appeler…

L’appeler ? Je ne connaissais même pas son prénom…

Marie m’a vu. N’a manifesté aucune surprise. Elle est venue vers moi. Je me suis plu à imaginer qu’un léger sourire illuminait son visage et mon cœur…

C’est en partie cette maitrise face à l’imprévu qui m’avait séduit, au-delà de sa prestance, de son élégance, de sa silhouette toute en courbes.

Elle s’est approchée, j’étais à sa merci. Bonjour Rémi ! Je te présente Romain.

Romain, tenant fermement son cartable aux couleurs des Avengers, pas intimidé, s’est arrêté devant moi, ses yeux (verts ? marrons ?) plantés dans les miens : Bonjour monsieur ! Il m’a souri, s’est retourné sans cérémonie, s’est échappé, subitement attiré par un pigeon perdu sur le trottoir…

Je crois que je n’étais pas plus à l’aise que ce volatile gris, tout seul sur le macadam (malaimé ? rejeté ?), cherchant désespérément mais infatigablement quelque chose à picorer… J’ai réussi à articuler dans un souffle : Bonjour Marie. C’est ton fils ? Euh… C’est « notre » fils ?

Elle m’a souri avec beaucoup de gentillesse, de tendresse même… Elle m’a pris par la main : Alors Rémi, tu fais quoi ? Tu as un peu de temps ? Je t’invite à prendre un thé ? Tu… tu aimes toujours le thé ?

Serrant ma tasse de thé des deux mains, comme si j’étais gelé, j’écoutais Marie. Pour être honnête, je l’entendais plus que je ne l’écoutais. Incapable de me concentrer sur la conversation, je regardais Romain, à contrejour, plongé dans une bande dessinée. Un bon point, Marie semblait l’avoir préservé des écrans, consoles, téléphone… Il avait un livre dans les mains.

Je suis sorti de ma rêverie quand Marie m’a interpellé : Qu’est-ce qui t’arrive, Rémi ? Tu ne dis rien. Pas une citation. Pas un sarcasme. Tu n’arrêtes pas de regarder Romain…

Désolé Marie mais…J’avais envie de te voir après ce long silence, cette absence… Et finalement…Depuis tout à l’heure, depuis que je t’ai vue apparaitre dans la rue… J’ai une question toute simple mais si délicate à poser… Romain, c’est mon… Enfin… notre…

Non, Rémi pas « notre » fils. Je n’ai plus de contact avec celui qui m’a donné cet enfant… Mais… Mais j’aimerais bien que tu sois son père. J’aimerais faire quelque chose de bien pour lui : il te mériterait, plus que son père biologique

Seul tout seul

Il était une fois un ours sortant d’hibernation…

Me qualifier moi-même d’ours, c’est déjà me chercher (et me trouver) un alibi pour ma difficulté à être « social ». Je dis bien « social » parce que « sociable » je crois que je le suis. Quand je suis en terrain connu, ou quand la situation l’exige, je ne reste pas terré dans mon coin, angoissé à l’idée de devoir communiquer, parler, répondre. Suffit généralement d’oser franchir la porte, entrer dans la salle, affronter le public, me confronter à l’inconnu… Mon boulot m’a appris à surmonter ça.

Mais hors situation professionnelle, je suis nu. Sans défense. Sans volonté. Sans courage. Combien de fois, comme un cheval rétif, ai-je refusé l’obstacle ? Combien de fois ai-je refusé de sortir voir du monde. Je ne saurais pas le dire. Et je me suis trouvé de plus en plus souvent ces dernières années des excuses : la fatigue, le manque de temps, la peur de déranger…

J’avais remarqué, surtout lors de mes deux dernières années en région parisienne, une tendance accrue au pantouflage. Rester chez moi. Avachi dans un fauteuil. Télé allumée, ordinateur sur les genoux. Se dire souvent que ce serait idiot de ne pas aller faire un tour à Paris, sans raison, pour le plaisir, avec l’appareil photo en bandoulière. Enfin plus exactement, l’appareil photo posé confortablement sur mon ventre…  Je suis finalement peu sorti de chez moi alors que j’habitais Cergy. Parce qu’il fallait prendre le RER A et que l’aller-retour jusqu’à Chatelet, ça me mangeait presque 2h00. Et puis qu’il fallait d’abord aller à Auchan faire les courses de la semaine. Et puis rester seul et peinard chez moi c’était reposant et nécessaire après une semaine passée à parler dans les réunions, à côtoyer les autres dans les couloirs. Vive le calme et le silence me disais-je pour me persuader que cette solitude était nécessaire à mon équilibre. Inutile de me questionner, la liste des excuses et des alibis, je suis capable de la réciter comme un prédicateur le ferait avec les écrits de son gourou préféré.

Quand je compare à la façon dont je vivais quelques années plus tôt alors que j’étais en poste à Ste Geneviève des Bois, c’était tout le contraire. A l’époque je me donnais, comme prétexte à mon équilibre, la nécessité de sortir, de me changer les idées, d’aller voir d’autres horizons que ceux de mon lycée où m’enfermait mon logement de fonction…

Entre ces deux époques, une toute petite dizaine d’années… Pourtant les marqueurs de ma vie sont restées les mêmes : une vie professionnelle avant d’être une vie personnelle. J’ai depuis longtemps emprunté les chemins des no-life, retranché derrière la vie pro pour oublier de voir l’absence de vie perso réelle…

Ma vie a changé depuis un an et demi et mon installation définitive à Marseille. Sans contrainte de temps, d’emploi du temps, de planning à gérer ou à anticiper. Seule contrainte, surtout avec la décision de me mettre au régime, aller faire des courses une fois pour semaine pour acheter non plus des plats préparés, vite réchauffés, vite mangés… Priorité au frais et à la variété. Pourtant j’aimais bien mes plats de pâtes avec plein de fromage et de sauce tomatée-crémée que j’engloutissais 5 ou 6 fois par semaine, le soir devant la télé… Devant la télé jusqu’à pas d’heure. Me réveillant devant des rediffusions improbables au milieu de la nuit et décidant difficilement de m’arracher à mon fauteuil à 3 ou 4h00 du matin pour aller passer les 3 dernières heures de ma nuit dans un lit.

Les premiers mois de ma nouvelle vie, je suis sorti presque tous les jours : marcher un peu, prendre l’air, laisser filer le temps assis à la terrasse d’un café sur le vieux port. J’ai (re)découvert que j’aimais flâner dans les rues commerçantes le matin. L’ambiance y est tellement différente de celle de ces mêmes rues l’après-midi. Moins de touristes, de clients qui flânent. Les gens que l’on croise sont à la fois plus pressés et plus détendus, plus attentifs aux autres dans les déplacements. Et puis j’aime ces magasins qui ouvrent leurs portes pour recevoir les livraisons, les commerçants qui sourient avec l’espoir d’une bonne journée, ces cafés où on a le temps d’être reconnu par les serveurs et qui vous apportent le café-verre-d’eau habituel avec un petit mot gentil, sans qu’on ait eu besoin de le commander. Oui j’aime l’ambiance des villes qui se réveillent. Enfin qui se réveillent… vers 9 ou 10h00 du matin !

La Covid a tout bousculé.

Ai-je souffert du confinement ? Honnêtement non. Je reste fondamentalement un ours casanier. Avec un bouquin, un ordinateur, une télé, de la musique et du café à portée de main, je peux résister à une longue hibernation sociale. Alors que j’étais très impliqué et, par certains côtés, hyperactif professionnellement parlant, alignant parfois des semaines durant jusqu’à 60 heures hebdomadaires, j’ai toujours dit qu’une de mes forces principales était aussi de savoir ne rien faire. Contrairement à certains collègues chefs d’établissement ou profs que j’ai vu partir à la retraite avec l’angoisse de l’inutilité après tant d’années consacrées à leur métier, j’ai vécu sans stress, sans angoisse et sans questionnement le passage d’une activité professionnelle démesurément chronophage à la platitude linéaire de l’inactivité du statut d’ex-proviseur…

Donc le confinement… Finalement facile à gérer. Rester chez moi en m’occupant de mon chat et de mes kilos, c’est plutôt sympa à vivre. Participer à un jeu d’écriture et se donner des objectifs à très court terme (Bon sang qu’est-ce que je vais bien pouvoir écrire ? Comment vais-je rebondir ou me raccrocher à cet évènement ?) c’était amusant… Surtout en faisant de mon personnage une sorte d’inadapté social hésitant ou renonçant à participer aux activités « sociales » de l’Auberge… Personnage de fiction Côme de la Caterie ? Évidemment ! Pourrait-il en être autrement ? Pourquoi chercher ou vouloir se barricader derrière un masque ou des apparences dans la vraie vie, hein ? Pourquoi préférer être asocial au risque du cynisme ou de l’agressivité alors que les gens autour de soi seront au pire indifférents, sinon ouverts et aimables, et n’auront donc aucune raison d’être désagréables ? J’vous le demande… sans attendre de réponse…

Aujourd’hui je me bouscule, je me force, je m’oblige à sortir. Ok, je sors tout seul la plupart du temps. Je vais marcher seul, sans but, avec des circuits de balades préférés… Je vais en ville, faire une petite boucle sur le vieux-port, en n’ayant même plus le plaisir de la terrasse de café. Il m’arrive de passer plusieurs jours sans dire autre chose que miaou à mon chat en réponse à des ma-ma-mraow interrogatifs, revendicatifs ou incompréhensibles… Je m’oblige à sortir mais la situation actuelle impose sa loi, elle ne me laisse pas le choix de ne rien faire : j’ai l’impression non pas de perdre, mais de « gaspiller » mon temps.

Je me force à sortir pour ne pas finir avachi-connecté-momifié dans mon fauteuil en écoutant Serge Lama…

Vivement que quelqu’un trouve le moyen de rebooter la vraie vie !

Génération(s) sacrifié(e)s

Il était une fois un couple d’américains républicains…

C’était en 1997 ou 1998… J’occupais mon 1er poste de proviseur-adjoint près de Saint-Etienne. Un voyage aux USA proposé aux élèves, une équipe d’accompagnateurs adultes à composer, une place se découvre libre, on me la propose. Je veille à anticiper, à préparer tous les dossiers et effectuer tous les changements d’emplois du temps prévisibles pour cette semaine-là et mon chef m’autorise à partir.

Direction la Floride, Orlando, ses parcs d’attraction, ses centres commerciaux démesurés, ses lamantins paressant dans les eaux de Crystal Lake… L’hébergement se faisait en famille. Je suis arrivé devant une maison basse à façade en bois, une pelouse bien entretenue et un monospace Ford devant l’entrée du double garage. De part et d’autre, des maisons semblables, avec des voitures semblables devant des portes de doubles garages semblables. Une sorte de cliché, comme on en voyait dans les séries télévisées. Wisteria Lane en vrai.

A l’intérieur de la maison, je me souviens du frigo américain, le genre qu’on ne trouvait pas encore en France, de la nourriture en boites carton entassées dedans, du waterbed dans (ou sur ?) lequel j’ai dormi, de la télé écran plat gigantesque… L’arrière de la maison donnait sur un lac. La maison avait son ponton privé avec un petit hors-bord amarré. La porte de derrière n’était jamais fermée à clé… Le matin, je suis monté dans le van Ford, la maman a posé son mug de café dans un des nombreux porte-gobelets pour conduire sa petite fille, Christie, à l’école. Elle avait préparé le petit cartable à l’effigie de Cinderella et la lunchbox décorée du minois de Minnie et Mickey pour sa fille. Christie portait comme tous les matins un gros nœud dans les cheveux et ne quittait pas sa baguette de fée avec une étoile pailletée au bout… Elle passait son temps à tenter de m’ensorceler avec un sérieux à peine compensé par un sourire malicieux. Sur la 2 fois 3 voies qui permettait de rejoindre l’école de Christie, tout le monde roulait pépère, ce qui donnait la possibilité de siroter son café conservé au chaud dans le mug-thermos, en écoutant une radio locale qui égrenait les informations de la météo locale et les conditions de circulation.  

Le soir on mangeait des plats tout faits, achetés dans un des nombreux fast-foods de toutes sortes, regroupés dans l’immense centre commercial dont les boutiques étaient ouvertes 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Dans les magasins une armada d’étudiants tenait les caisses, pendant que d’autres se saisissaient de vos achats pour les mettre dans des sacs en papier et proposaient, avec un sourire de Ken, de les déposer dans le coffre de la voiture. Certains travaillaient la moitié de la nuit, dormaient quelques heures et enchainaient sur les cours à l’université…

Un autre monde. L’Amérique. Avec des aspects rêvés et d’autres cêtés caricaturaux pour mes habitudes et mon regard de français… Le rêve américain, l’american way of life dans ce qu’elle a de plus superficiel, de moins contraignant, de plus idéalisé…

Le couple chez qui j’étais hébergé était jeune, autour de 35 ans. Des républicains convaincus. Qui m’expliquaient sans état d’âme qu’il était naturel, dans l’Amérique post-reaganienne, d’avoir sacrifié une ou deux générations afin que LEUR génération puisse avoir une qualité de vie normale. Leurs parents avaient fait partie des « sacrifiés » en particulier par manque de couverture sociale comme on l’imagine dans notre vieux pays. Mais c’était normal. Triste mais normal. The circle of life… C’était aussi – m’expliquaient-ils à défaut de me convaincre – cette réalité qui avait permis à leur Great America de réagir et de préparer « leur » avenir différemment. Madame travaillait pour un organisme d’état, monsieur tenait un magasin d’articles de sport. Madame payait une lourde sur-cotisation pour que monsieur soit couvert en cas de pépin de santé. S’ils divorçaient, monsieur se serait trouvé sans couverture médicale car, avec son statut d’indépendant, les cotisations qu’il aurait eu à payer étaient impossibles à assumer… Mais c’était pour cette façon de concevoir la vie et l’avenir qu’ils avaient accepté qu’une ou deux générations avant la leur soit sacrifiée.

Sacrifiés. Ce mot, ils l’avaient employé tranquillement. Alors qu’ils parlaient de leurs parents…

L’art de vivre à la française est piétiné par la pandémie actuelle. Le côté râleur et frondeur couve. Quelques reportages montrent des rebellions. Plus ou moins coordonnées. Plus ou moins violentes. Plus ou moins symboliques. Plus ou moins compréhensibles sinon légitimes… Tout ce que l’on entend ici ou là donne le sentiment que l’on conjugue au quotidien des égoïsmes plus ou moins forcenés, plus ou moins acceptables.

Si je simplifie, la situation actuelle se résume dans ma tête, au rythme des informations, à cette question (dont la formulation me glace) : qui sacrifier ?

Je suis conscient d’être un privilégié. Je suis hors-sol vis-à-vis des questions de confinement. Je suis à la retraite, je ne suis pas obligé de cotoyer des inconnus dans les transports en commun, ou des collègues au bureau. Je n’ai à me préoccuper de personne sauf de nourrir et de caresser mon chat… Parfois je me dis que Maman est partie à temps parce qu’on m’aurait interdit d’aller la voir…

Je suis à la fois ulcéré lorsque j’entends des déclarations plus ou moins tonitruantes contre toutes les mesures de contrôle, de couvre-feu ou de confinement et ému par les témoignages souvent poignants des personnes concernées par l’âpreté des mesures mises en œuvre, qu’il s’agisse des restaurateurs ou des étudiants par exemple.

Certaines remarques m’insupportent. Parler de génération sacrifiée parce qu’on ne peut pas participer aux soirées étudiantes m’apparait surréaliste. En revanche la difficulté liée à la disparition des petits boulots pour survivre… L’effondrement familial à cause de la fermeture d’un bistrot ou d’un commerce dans lequel on a mis toutes les économies et les espoirs d’une vie… Je visualise le gouffre qui s’ouvre sous les pas de ceux qui rêv(ai)ent d’avenir. A une autre échelle, je me souviens des angoisses qui m’assaillaient jour et nuit, dès que je fermais les yeux, dès que mes pensées vagabondaient en janvier 2006, alors que j’avais été radié de l’Education Nationale. La terreur du lendemain… même si je savais que mes parents ne me laisseraient pas tomber. L’absence de perspective colorée en noir profond… Mais c’était du noir goudron, pas le noir des monochromes de Soulages. Non. C’était un noir poisseux et obsédant, comme celui qui englue les ailes des oiseaux de mer après une marée noire.

J’ai également en tête ces reportages qui montraient en mars dernier des personnes âgées, isolées, esseulées, séparées de tout contact familial. Sans parler de ceux ou celles parti(e)s sans avoir pu être accompagné(e)s par un être cher.

Quelle va être la génération que l’on va accepter de compter comme sacrifiée ?

Comment la situation peut-elle conduire à se poser la question, à la laisser germer dans les esprits et donc à la considérer comme possible, comme légitime ? Poser la question, c’est donner vie à une idée, donc la rendre réelle. Comment la situation actuelle peut-elle conduire certains à se foutre ostensiblement des recommandations au nom de leur pitoyable revendication de liberté autocentrée et égoïste…

J’aimerais – au-delà de tous les dispositifs mis en œuvre – que quelqu’un trouve les mots pour rassurer ceux qui en ont besoin… Que les œillères politiques tombent et que tout le monde – au lieu de pointer les manques, les approximations et les échecs – propose quelque chose de plus construit que des y’a-qu’à-faut-qu’on… Mais aussi, évidemment, que ceux qui feraient cet effort constructif soient, non pas entendus, mais écoutés… Il paraît qu’on est plus intelligents à plusieurs. Ça doit être vrai AUSSI dans le monde politique, non ? De toutes façons, on n’aurait rien à perdre à essayer…

J’aimerais que – si quelque chose doit être sacrifié – ce soient les égos et les étiquettes et non pas les humains…

A 63 ans j’ai encore le droit de rêver derrière mon masque, non ?

…Et maintenant, la playlist des invités !

Il était une fois un quizz télévisuel et musical.

J’aime beaucoup l’émission Quotidien sur TMC même si on la critique parfois (souvent) pour son côté « bobo parisien »…

Dans cette émission il y a une chronique récurrente appelée la playlist des invités… J’ai évidemment eu envie de m’y essayer, moi qui ai souvent clamé que ma vie était un juke-box. L’exercice n’est pas si simple, si évident… Et j’ai beaucoup gambergé/tergiversé/hésité avant de finaliser certains choix. Qui seront sans doute obsolètes dès qu’ils auront été publiés ici…

La chanson que vous écoutez en boucle : sans doute la chanson que j’ai le plus de mal à définir parce que mon iPod est en mode « aléatoire »… Je vais choisir celle que je sélectionnerais si je devais me donner la pêche le matin, un peu comme Joe Gideon dans All That Jazz qui enclenche le Concerto in G de Vivaldi chaque jour au réveil…

La plus belle chanson du monde : N’en choisir qu’une est un supplice. Barbara… Brel… Léonard Cohen… F. Hardy… Higelin… Lluis Llach… Eutythmics… Presley… M. LeForestier… Mais… Elle reste incontournable et je choisis finalement cette chanson de Barbra Streisand !

La chanson pour danser ivre mort : Je suis un très mauvais danseur, tellement occasionnel que ceux qui m’ont vu danser se comptent sur les doigts d’un main et ont choisi de fuir dans un monastère pour oublier . Disons que je suis un « remueur »… J’aurais pu citer Easy skankin’ de Bob Marley ou Don’t take my coconuts de Toto Coelho mais je choisis…

La chanson pour une nuit d’amour : Can you feel it aurait pu être une bonne accroche, mais on fait dans le correct ici, môssieu ! Un tempo lent, un peu répétitif mais une montée en puissance très… enfin tout à fait… disons parfaitement adaptée !

Le plaisir coupable : Beaucoup de chansons pourraient cocher la case, au premier rang desquelles certaines prestations eurovisionnesques ! Mais je vais choisir une chanson du répertoire de Sheila, ma première idole… Les nappes de violons, les cuivres étincelants et les paroles chabada… Rhalala… *gros soupir*

« Big is beautiful » qu’ils disaient…

Il était une fois un mec gros…

J’ai évidemment regardé Opération Renaissance sur M6

Pour mémoire, il y a un an j’ai décidé (une nouvelle fois) de me mettre au régime : je pesais 111kg pour 1,65m. Soit un IMC supérieur à 40 (qui correspond à ce qu’on appelle une « obésité morbide »). Un an plus tard, je pèse 91kg. Et je mesure toujours 1,65m. Mon IMC est aujourd’hui de 33 (soit une obésité qualifiée de « modérée »). J’ai encore quelques efforts à fournir, je stagne depuis juillet dernier à ce poids alors qu’en mon for intérieur j’ai un objectif de 80kg. Mon IMC sera alors de 29,5 et je serai alors (seulement) en surpoids…

Maigrir a toujours été un combat. Quand j’étais gamin, quand j’étais ado, quand j’étais un jeune homme, quand je suis entré dans la vie active, quand je suis parti à la retraite… Etre gros a toujours été une souffrance, mêlé d’un sentiment d’injustice. Y’a à l’évidence une question de gènes mais aussi des facteurs personnels, les plus difficiles à cerner, donc à combattre ou à dompter car ils impliquent une remise en cause personnelle, un examen de conscience, un exercice de vérité parfois douloureux…

Le 16 décembre dernier, j’ai décidé. Régime. Volonté. Détermination. Avec une première évidence : fin du stress lié au boulot. Mais surtout évaporation de l’alibi « j’ai pas le temps ». Repas pris à la va-vite, cuisine simple et efficace pour combler rapidement le ventre et éteindre les angoisses du boulot et/ou de mes questionnements personnels. J’ai dit un jour « Si je suis tout seul, je mange pour compenser… Si je suis amoureux, je mange par plaisir. Mais quoi qu’il arrive, je mange !« 

J’ai pris le temps de penser à moi. Ayant retouvé un jour au fond d’un placard un pantalon de taille 38, oublié, neuf, avec l’étiquette encore accrochée à la ceinture, j’avais pris l’habitude de constater, désabusé, que je ne rentrais plus dans le pantalon taille 44. Et d’acheter en soupirant une taille 46. Puis 48. Et de me servir de la ceinture comme d’un cilice pour ne pas être obligé de chercher dans les rayons la taille 50. Le regard que je portais jour après jour sur ma silhouette était à la fois plein d’indulgence (c’est comme ça, y’a rien à faire…) mais s’accompagnait paradoxalement d’un sentiment de dégoût. J’ai un jour dit à un ami que s’il fallait n’utiliser qu’un mot pour me qualifier, ce serait le mot « repoussant ». Dès lors comment imaginer, comme s’imaginer dans une démarche de « séduction »… Le regard de l’autre est la composante fondamentale du malaise qui m’a toujours accompagné. Et si aujourd’hui, à 63 ans, je suis toujours célibataire, si je n’ai jamais eu de relation suivie, je sais que c’est à cause de ces kilos, si lourds. Ils ont fini par représenter une barrière infranchissable qui m’a parfois poussé à dire à un garçon « mais voyons, comment peux-tu ou pourrais-tu m’aimer ». Et dans ma tête je me demandais même si le mec en question n’était pas, vu ses goûts, un peu détraqué… J’ai refusé l’idée qu’on puisse me trouver attirant, en refusant de comprendre qu’un mec intelligent pouvait, lui, aller au-delà des apparences… Le jeu de la séduction est sans doute celui auquel j’ai le plus régulièrement perdu en accusant même l’autre de tricher avec ses sentiments…

Dans l’émission « Opération Renaissance » j’ai particulièrement retenu un des premiers échanges :

« Quand tu es gros il faut avoir de l’humour. C’est une carapace.

Contre quoi ?

Contre tout ! »

Je me suis reconnu à 200%. Petit, gros, mais rigolo. Acide parfois. Mais toujours en train de rire. J’en ai même fait un axe de travail : « Le boulot est déjà suffisamment stressant, alors travaillons au moins dans la bonne humeur ! »

Cependant, même si certains psychanalystes voient dans les kilos en trop une forme de bouclier, ce bouclier protège peut-être certaines choses, mais pas l’amour-propre…

Je fais d’ailleurs le parallèle avec les gays dont on remarque souvent l’humour décalé, cynique, vachard. Le regard des autres oblige à l’autodérision. Rire de soi pour lutter contre la méchanceté ambiante, désarmer l’agressivité par le rire. Gay et gros, même combat. Rire, faire rire et rire de soi, cela permet de détourner l’attention…

Avant même sa diffusion, l’émission a fait l’objet d’une attaque en règle par une association nommée « Gras politique ». Un long papier est publié sur Médiapart, en voici la conclusion : « Nous craignons évidemment qu’à la suite de sa diffusion, les personnes grosses, déjà stigmatisées dans leurs vies quotidiennes, subissent de la part de leurs proches et d’inconnus une pression supplémentaire à l’amaigrissement, qui contribuera à la grossophobie ambiante et à leur fragilisation. Nous n’avons pas attendu M6 et Karine Le Marchand pour naître et pour vivre : nos vies de personnes grosses comptent autant que les vôtres. »

Je n’ai pas tout à fait la même analyse. D’une part, si j’ai bien compris, personne n’est allé chercher les participant(e)s à l’émission. Il et elles avaient déjà entamé le chemin les conduisant vers l’opération et l’amaigrissement. L’émission propose de les suivre et de les accompagner. Alors voyeurisme ? ok, pourquoi pas… Scénarisation people assumée par K. Le Marchand ? Certes (et ça, c’est objectivement assumé et pourtant dispensable, en particulier son « intrusion » dans le bloc opératoire…) Mais est-ce que cette émission alimente (jeu de mot) la grossophobie ? Pas de mon point de vue. Elle a le mérite de montrer la souffrance des gros. Un des participantes glisse dans son interview : « Non je n’ai pas toujours été grosse. Quand j’étais gamine, j’étais normale… » C’est terrible de dire de soi, à l’imparfait « J’étais normale » Mais cette notion, moi aussi je l’ai intégrée dans mon constat personnel, je ne me suis jamais considéré comme « normal » . On pourra évidemment en déduire que dès le plus jeune âge on est formaté par une norme, par le regard des autres et de la société. Mais bon… Quand on est gros, on ne se sent pas bien. Ni dans son cœur, ni dans sa tête, ni dans son corps. On est malade, on se rend malade psychologiquement et il est impossible de le cacher.

Si cette émission peut ouvrir des yeux des proches et des anonymes qu’on croise dans la rue, au boulot… Alors ce sera bien. Après tout, la sœur d’une des participantes et les parents de l’autre disent clairement qu’ils n’imaginaient pas que leur sœur ou fille souffrait autant…

Dans d’autres épisodes, on verra des personnes pour qui la démarche, accompagnée ou pas, ne fonctionne pas… Et c’est sans doute bien d’oser le dire et le montrer. Là il y a pédagogie et avertissement…

J’ai le sentiment que de quelle que soit la façon dont cette émission aurait été conçue, montée, pilotée, elle était vouée à la critique en règle et au procès en illégitimité. Car c’est un peu la tendance actuelle où les « minorités » veulent s’exprimer mais refusent a priori le droit à la parole de qui ne fait pas partie de la Cause. De la famille. De la… secte.

Pour conclure… Est-ce que le vrai problème, ce ne serait pas les membres du collectif « Gras politique » ? Est-ce qu’ils ne sont pas tout simplement des gros qui n’ont pas eu le courage, ou qui n’ont pas réussi à maigrir et camouflent leur échec en l’habillant d’un vêtement taille XXL sur lequel est floqué le logo « Big is beautiful » afin de se donner bonne conscience ? Des gros qui camouflent leurs kilos derrière un discours politico-social militant ? Des gros qui refusent aux autres de réussir peut-être là où, eux, ils ont échoué ?