Comme un forcené mono maniaque, je multiplie les photos, les souvenirs et les câlins à mon chat… J’ai les yeux humides dès que je le regarde, dès que je pense à lui, dès que je parle de lui. Je suis incapable de maitriser mes émotions et ma peine maintenant que je sais que je vais le perdre. Sans savoir si je dois compter en mois, en semaines ou en jours. Ce compte-à-rebours macabre est insupportable…
J’ai osé peser Asgård ce matin et je constate qu’il a encore perdu 300 grammes en une semaine. Ce beau matou de plus de 6 kilos ne pèse plus aujourd’hui que 4,3 kilos. Pourtant il est toujours d’une beauté qui me ravage. Il se laisse brosser avec ce qui ressemble à du plaisir. Il se laisse bisouiller.
Est-ce qu’un chat peut se laisser mourir ? Il ne mange quasiment pas. Je compte soigneusement les croquettes que je dispose en petits tas un peu partout : près du fauteuil où il a ses habitudes, près du pot d’herbe à chat, près du carton dans lequel il aime bien se reposer. 15 croquettes de 3 variétés différentes pour essayer de lui donner envie. Et le matin quand je me lève je constate hélas qu’il n’a mangé que 2 croquettes ici et 3 croquettes là… Je tente de l’amadouer en trempant mon doigt dans la gelée des pâtées qu’il aimait bien il y a encore quelques jours. Il lèche mes doigts consciencieusement… mais refuse d’aller chercher les morceaux de poissons enrobés de gelée dans sa gamelle. Je suis démuni…
Je culpabilise quand je me surprends à penser que ce serait mieux qu’il parte rapidement. J’ai honte mais je ne peux pas imaginer de le voir s’éteindre lentement, sans pouvoir faire quoi que ce soit. Sans savoir s’il souffre. Sans savoir s’il sait ce qui lui arrive. Sans savoir s’il sait que je l’aime et que je suis dévasté… Je ne veux pas qu’il meure. Pas comme ça.
Le matin, puisqu’il ne monte plus sur mon lit, mon premier souci est de regarder par dessus la rambarde de la mezzanine pour savoir si ses yeux sont levés vers moi, savoir s’il a survécu à la nuit… s’il ne s’est pas caché pour mourir tout seul, en silence, dans le noir complice du débarras dans lequel il prend de plus en plus ses habitudes…Quand je rentre de ma virée matinale sur le vieux port, il ne se précipite plus pour m’accueillir en dévalant l’escalier. Il faut parfois que je cherche un peu… regarder dans le débarras, sur le balcon, monter dans la chambre pour le débusquer. Quand je le trouve, il me regarde alors paisiblement et vient gentiment se frotter contre mes jambes.
Il reste si beau. Son poil reste brillant et cache encore bien un amaigrissement seulement trahi par des os plus saillants sous les caresses.
Mardi prochain, on va chez la véto pour enlever les points de suture posés lors de la biopsie. Mardi prochain on sera le 03 janvier. Et ce sera précisément son 3ème anniversaire à mes côtés. Son dernier aussi.
(N.B. Toutes ces photos ont été prises entre le mardi 27 décembre et aujourd’hui… Il est VRAIMENT beau mon chat !)
« De temps en temps je lui parle à mon chat, qu’un salaud a abandonné sans doute parce qu’il était malade, m’avait-on expliqué au refuge. Je lui demande s’il est heureux. Il ronronne, me mordille la main et se roule par terre. Ça suffit à mon bonheur… »
Ces mots je les ai écrits le 23 septembre 2020. Aujourd’hui je me demande combien de temps je vais pouvoir parler de mon chat au présent. Depuis presque deux mois, je suis inquiet pour son état de santé. Les quelques pistes évoquées pour expliquer son apathie et sa parte de poids sont inquiétantes et me laissent imaginer qu’il ne sera plus là dans quelques semaines ou quelques mois. J’essaye de m’y préparer et dès que je tends la main vers mon chat, dès que je pense à lui, dès que je regarde les photos que j’ai pu faire de lui depuis presque trois ans, j’ai les larmes aux yeux.
« J’ai accueilli un chat pour le rendre heureux. Je sais qu’il ne manque objectivement de rien mais est-ce suffisant ? Je sais qu’un chat dort beaucoup et il dort beaucoup… Il quémande des caresses et il les obtient… Il est gourmand et il a des croquettes, des friandises et du melon en été… Je lui laisse lécher l’opercule des yaourts soja aux fruits que je mange quotidiennement… Il a un beau poil, brillant et doux et il adore que je le brosse… Ah ! le passage de la brosse sous le menton, les yeux fermés… Est-il heureux ? J’aimerais tant qu’il me rassure ! »
Quand je relis ce que j’ai écrit en décembre 2020, après un an de « vie commune », je culpabilise encore plus. Je voulais rendre mon chaton heureux et je l’ai laissé grignoter des pans entiers de mon égoïsme et de mes habitudes de célibataire… Et aujourd’hui, il est malade…
(Suite du billet écrite le 27 décembre)
Aujourd’hui, verdict qui claque comme un clap de fin… La biopsie pour savoir ce que cachaient ces ganglions qui avaient l’air bien gros à l’échographie a parlé… Premiers résultats : le caractère cancéreux a été rapidement éliminé. Restait à connaitre l’origine de l’infection… Le couperet est tombé : c’est une une PIF. Une Péritonite Infectieuse Féline. Pas de traitement, pas d’espoir, seulement des traitements palliatifs et une fin qui peut être rapide. On compte en mois, peut-être en semaines. Et là, à travers mes yeux remplis de larmes, j’ai devant moi un chat devenu câlin, demandeur de caresses plus que de croquettes. Un chat qui ronronne et qui se love au pied de mon lit quand je vais me coucher… J’ai culpabilisé d’avoir attendu presque 15 jours avant de me décider à l’amener chez la véto. Même si je sais aujourd’hui que ça n’aurait rien changé… Depuis plusieurs jours j’essaye de me préparer, de me faire à l’idée que je vais perdre Asgård… Tenter d’imaginer le futur, même triste, ça reste une construction de l’esprit tellement factice. Tellement théorique. Tellement vaine, finalement.
Aujourd’hui, la raison se fracasse sur une réalité douloureuse et s’oppose à la douceur d’une boule de poils et de ronronnements qui vient se frotter contre mes jambes. Jusqu’à quand ?
Aujourd’hui, le plus déchirant c’est de connaitre l’issue mais pas l’échéance. Le plus angoissant va être de surveiller le chaton, pas pour savoir s’il va bien mais pour tenter de comprendre s’il souffre.
Aujourd’hui, je sais qu’il va partir mais… Mais il ne faut pas que ce soit douloureux pour lui. Je sais qu’il faudra bientôt prendre une décision, avec les conseils du véto, pour ce que j’imaginerai alors être le mieux pour mon Asgård. Un jour, bientôt, on ira chez la véto pour qu’il s’endorme. Paisiblement je l’espère, dans mes bras.
J’ai accueilli un chat pour qu’il soit heureux… C’était le 3 janvier 2020. Ça fera donc tout juste 3 ans dans une semaine. J’avais repéré Asgård, qui ne s’appelait pas Asgård à l’époque, parmi les chats à adopter, parce qu’il avait été testé positif au sida des chats et que je savais qu’il aurait plus de difficultés à être adopté. Quand je suis allé au refuge, j’avais expliqué que tout dépendrait de son comportement : le pépère de 6 kilos était venu tout de suite se frotter contre moi, c’est lui qui m’avait adopté… 3 ans plus tard, c’est un compte à rebours qui me brise le cœur qui s’enclenche…
Toutes proportions gardées, j’ai l’impression d’être Ryan O’Neal dans Love Story, un Ryan O’Neal qui aurait troqué son amour pour Ally McGraw pour l’amour d’un chat… A l’instar de l’accroche du film « Elle aimait Mozart. Et Bach. et moi… », dans ma tête, tournent les mots « Il aimait les crevettes. Et le melon. Et moi… » Et je pleure déjà.
Le professeur m’a dit que j’étais intelligent Mais pas comme il faudrait. Ce n’est pas d’la bonne intelligence. Je suis ce que l’on ne doit pas faire L’exemple à ne pas retenir Qui rit, quand il faudrait se taire Et mon avenir… ils disent que je n’ai pas d’avenir.
« Qu’est-ce que les enseignant(e)s disaient de vous sur votre bulletin scolaire ? » Question anodine en apparence posée sur Twitter il y a quelques jours, mais qui a réveillé en moi tant de souvenirs. D’angoisses aussi…
L’arrivée du bulletin trimestriel a longtemps été une épreuve pour moi… Mes parents mettaient tant d’espoir en moi, à chaque rentrée scolaire, à chaque trimestre, année après année. Il faut dire qu’à côté de moi, il y a avait un frangin qui travaillait bien, qui récoltait encouragements , tableau d’honneur ou félicitations du conseil de classe à chaque rentrée scolaire, à chaque trimestre, année après année…
J’étais un élève heureux d’être à l’école, au collège, au lycée. Un élève un peu naïf sans doute, puisque j’espérais toujours qu’au dernier moment les notes de mes devoirs allaient s’additionner et non pas se transformer en moyennes… J’espérais qu’au dernier moment, miraculeusement, les profs n’allaient pas me crucifier en quelques mots. Je rêvais que tout d’un coup, une semaine avant le conseil de classe, j’allais pouvoir tout changer, métamorphoser les mauvaise notes en résultats brillants et les critiques en compliments. J’allais tout faire basculer dans mon monde du bon élève imaginaire… Oui, c’est ça… J’ai longtemps été un élève heureux de vivre, paresseux, rêvant de faire plaisir à mes profs et à mes parents… et tellement déçu, sincèrement, de décevoir ceux qui croyaient en moi… J’ai été un bon élève tardivement…
Parmi les pires commentaires dont je me souviens figurent des formules lapidaires comme « Quel gâchis ! » ou « Pourrait bien faire… s’il le décidait ». Il ya avait aussi cette appréciation récurrente qui, plus que toute autre, me crucifiait au moins une fois par bulletin : « Capable du meilleur comme du pire » Ces appréciations-là me valaient des demandes d’explications musclées de la part de mes parents. Comment ne pas se souvenir de Maman, droite dans son fauteuil, l’enveloppe fatidique décachetée à la main attendant mon retour du collège ou du lycée m’accueillant avec un « va falloir que tu m’expliques » glacial. Pose théâtrale qui était le préambule d’une crise mère-fils qui allait se développer avec force cris et regards noirs pendant plusieurs jours… Alors je promettais de réagir, de faire des efforts, de progresser… Et j’étais sincère dans mes promesses. Mais… Mais je n’étais pas partisan des efforts suivis et réguliers, et mes bonnes résolutions se fissuraient… non ! se fracassaient vite sur le mur des habitudes de paresse et de déconne qui étaient alors mes meilleurs amies… Il faut dire que j’ai été le premier de la famille à avoir rapporté un 0/20 à la maison. A avoir eu des heures de colle. A redoubler. A rater un examen (le Brevet des collèges, que j’ai obtenu au rattrapage…) Oui, pendant de longues années, j’étais vraiment celui qui restait « capable du meilleur comme du pire ». Et Papa et Maman attendaient plus ou moins patiemment le meilleur…
Je me souviens de ce bulletin trimestriel en troisième. A l’époque les enseignants écrivaient les appréciations à la main et les écritures de chacun s’entrechoquaient parfois… Sur ce bulletin, écrite avec un stylo vert, l’appréciation de Mme Perriaux la prof d’histoire-géo sautait aux yeux. C’était l’appréciation qu’on voyait en premier : « Excellent ! élève intéressé ! ». De quoi donner le sourire. Mais Mme Perriaux avait beau clamer haut et fort avec son appréciation en vert qu’elle était contente de moi, elle ne pouvait masquer qu’elle était l’exception… Tout comme dans les contrats d’assurance, il y avait les petits caractères, les commentaires des profs de français, d’anglais, de maths, de physique. Avec leurs écritures fines et régulières, les commentaires unanimes, comme un chœur antique accusateur, regrettaient le manque de travail, le manque d’attention, le manque d’efforts. Ce fut l’année où le mot « gâchis » revint avec le plus de constance. Et ce fut l’année qui s’acheva avec la décision infamante du redoublement…
Quelques années plus tard, j’avais mûri et j’étais impliqué avec plus de sérieux dans des études à dominante littéraire qui me convenaient mieux. J’obtenais de bons résultats en français, j’avais bien progressé en anglais, j’étais toujours bon en histoire-géographie…Je me souviens de deux appréciations pour des raisons totalement différentes… M. Canal, mon prof d’anglais était un personnage, un peu égocentrique et théâtralisant énormément sa présence en classe. Il parlait en modulant sa voix comme un acteur, agitait les mains à l’appui de ses discours, sollicitait constamment les élèves comme si nous étions des partenaires de jeux de rôle. Très exigeant, il était capable d’assassiner un élève distrait ou dissipé en quelques mots ou quelque citation définitive. Ce côté showman me plaisait mais il fallait veiller à ne pas lui voler la vedette : lui seul avait le droit de faire rire en cours. Puisque ce prof me plaisait, je travaillais avec plaisir et mes notes s’en ressentaient positivement. Mais je n’oublierai jamais ce commentaire assassin sur mon bulletin : le 15 ou 16/20 de moyenne était accompagné de cette appréciation laconique : « Bon élève… » Tout était dans ces points de suspension et évidemment mes parents n’ont pas manqué de le remarquer et de m’en faire le reproche… A côté de ce souvenir en demi-teintes, il y a celui que m’a laissé M. Teston, le prof de français que j’avais également en classe de 1ère, l’année du bac de Français. Malgré un 1er trimestre mitigé, juste passable, avec un petit 11 de moyenne, il avait écrit « Quel bonheur de vous voir progresser ! ». Cette appréciation a été comme un sourire inattendu dans une journée grise et morne où tu te débats contre toi-même. Elle m’a fait le même effet que dans la chanson de Brassens, l’Auvergnat : Ce n’était rien qu’un peu de miel / Mais il m’avait chauffé le corps / Et dans mon âme il brûle encore / À la manière d’un grand soleil… La preuve, alors qu’on se souvient généralement plus facilement des vacheries qu’on a reçues, je me souviens encore, 48 ans plus tard, de cet encouragement.
Pour tout dire je ne l’ai jamais oublié et je dois à M. Teston cette attention que j’ai toujours tenté d’apporter aux appréciations que j’écrivais en bas des bulletins quand j’étais adjoint ou proviseur. Même (et surtout) dans un lycée prestigieux de Bordeaux avec prépas où on demandait aux élèves de seconde – dès le mois d’octobre – quel type de prépa ils envisageaient d’intégrer. Certains élèves peinaient, échouaient, se comparaient à ceux qui réussissaient, se décourageaient, se dévalorisaient… et se faisaient laminer par des commentaires lapidaires lors des conseils de classe. J’ai eu à rectifier des appréciations définitives, proposées par certains professeurs principaux qui considéraient que « catastrophique et insuffisant , aucun travail » était une appréciation pouvant conduire à une réaction. Oui je me suis battu contre ces profs, qui n’envisageaient parfois pas qu’on puisse avoir des difficultés malgré le travail fourni. Et ma seule légitimité vis à vis d’eux, quand je modifiais une appréciation, c’était mon titre de proviseur-adjoint. Quelques années plus tard, c’est dans un lycée professionnel que j’ai surpris (mais aussi séduit) les professeurs par cette attention qui se voulait positive, même envers les élèves qui décrochaient, ou plutôt qui n’accrochaient pas tant leur passif scolaire était parfois lourd.. Seule l’indiscipline et l’absentéisme ne trouvaient pas grâce à mes yeux.
Grace à M. Teston, (mais aussi, je le confesse, à cette prof de français qui, en 6ème, lors d’une réunion avec les parents, avait dit à Maman « Votre fils n’arrivera jamais à rien ! »), grâce à M. Teston donc, j’ai toujours essayé de trouver les mots qui ne condamnaient pas… les mots qui valorisaient le plus léger effort, le moindre progrès, histoire de lui rendre hommage… et de faire honneur à Brassens !
Evidemment, quand quelqu’un me demande « comment ça va ? » je réponds toujours positivement. Un peu par habitude. Un peu par politesse. Beaucoup par pudeur. Parce que je n’ai pas envie d’avoir à répondre à des questions, parce que je n’ai pas envie de raconter ce qui ne va pas, parce que j’ai un peu de mal à identifier clairement ce qui ne va pas si bien que ça…
C’est un peu comme si, à l’instar du « baby blues », je faisais un « work blues » en retard. Non pas que le travail, ou plus exactement les contraintes du travail me manquent, mais l’effervescence, les rencontres, les échanges, les sourires partagés, tout ce qui faisait le bonheur de mon monde du travail, tout ça n’existe plus. Sauf dans mes souvenirs. Ce qui est bizarre, c’est que ça arrive au bout de trois ans, parce que oui… ça va faire trois ans que je suis retraité. Mais le covid a gommé le sentiment de vide en le remplaçant par des soupirs de soulagement quand je pensais à tout ce à quoi j’avais échappé comme emmerdements à gérer…
Et puis ça fait trois ans que maman est partie. Avec le recul, je comprends que j’aimais bien les 500 kilomètres aller-retour que je faisais un samedi sur deux pour aller la voir, la serrer dans mes bras, profiter de son sourire qui illuminait son visage ridé et donnait à ses yeux bleus un éclat particulier. Je n’allais pas « m’occuper de ma vieille mère » j’allais partager des instants de complicité fugaces et futiles mais indispensables… J’aimais l’entendre râler sur le fait que je devais avoir autre chose à faire, que je ferais mieux de me reposer, que ce n’était pas raisonnable de venir la voir alors qu’il y avait le téléphone. Et puis l’entendre me glisser à l’oreille, au moment où je partais, que j’étais « un bon petit ». Fin août 2019, elle m’avait dit – en essayant de masquer ses craintes inavouées – que ce ne serait pas pareil, que ce ne serait plus aussi simple quand je serais à la retraite. Je lui avais montré que j’avais tout sur mon téléphone : j’avais déjà mis en favoris les horaires de train Marseille-Béthune, j’avais les infos pour une carte d’abonnement… Ses yeux étaient tout à coup devenus plus brillants. Non ce n’étaient pas des poussières, c’était l’émotion qu’elle tentait de contenir. J’ai compris à ce moment là qu’il y avait la crainte sourde d’être seule, isolée, privée de « son petit ». Et puis voilà, un mois plus tard, elle partait… Elle ne m’a jamais connu comme proviseur retraité.
Aujourd’hui, ma vie se résume à des cafés pris le matin avec mon frangin et d’autres pris tout seul sur le Vieux-Port. Mis à part ma meilleure amie que je vois régulièrement pour aller marcher et parler de tout et surtout de rien, je ne parle qu’aux serveurs de mon café favori. Et puis des courses hebdomadaires le mardi vers 13h30-14h00 à une heure où il n’y a pas trop de monde…
Je ne suis pourtant pas seul : je souris et je parle à Asgård, mon chat. Le moindre changement dans ses routines m’inquiète. Pourquoi reste-t-il si souvent, seul, dans le débarras pas éclairé ? Pourquoi n’a-t-il pas mangé sa pâtée ? Pourquoi reste-t-il sans bouger, le regard fixe, pendant des heures devant la porte fermée ? Pourquoi n’accepte-t-il pas rester dans mes bras pour que je le câline ? Je suis devenu un vieux pépère-à-chat inquiet…
Je regarde régulièrement l’état d’avancement du chantier de mon futur chez-moi. La date de livraison a été reportée d’un trimestre… Ce n’est pas beaucoup, mais psychologiquement passer de fin 2023 à 2024, ça compte. Je rêve de ma future terrasse, orientée sud-est. Je tente d’imaginer déjà ma future cuisine. Et la couleur du mur du fond de ma chambre. Pour le moment c’est le bleu cobalt qui tient la corde… Mais il y a quelques mois j’étais plutôt sur un « terre brûlée ». Je repense à cette remarque formulée par Laurent sur twitter : « Être propriétaire pour nous n’a pas de sens car pas de descendance. Si nous avons un pécule, un jour qui sait, nous lèguerons à des associations. » C’est vrai, c’est logique… Et pourtant je me suis lancé. Je suis déjà propriétaire, j’ai 65 ans, je suis seul alors pourquoi ? Peut-être parce que c’est une façon de me dire que j’ai encore du temps devant moi… J’ai décidé de prendre rendez-vous chez un notaire pour enregistrer un testament. Que mon « patrimoine » serve à une ou deux associations. Reste à définir lesquelles… J’ai encore, logiquement, du temps devant moi… Mais du temps pour quoi faire ? Attendre, avec mes souvenirs et mes manques comme coussin sur lequel je dépose ma solitude.
Un jour, je vais mourir. Peut-être que ce sera alors que je me prélasse sur ma terrasse, au soleil, avec la musique qui m’accompagne… Ça serait chouette…Dans ma bibliothèque iTunes, il parait que j’ai plus de 9 jours de musique ininterrompue…
Les premières personnes susceptibles de s’inquiéter pourraient être ceux qui me suivent sur twitter quand ils ne liraient pas une fois, deux fois ou trois jours à la suite, mon « bonjour les gens » accompagné de la photo du sourire d’un beau garçon. Parce que je ne vois pas mon frangin tous les jours, ni Ghislaine… Je peux rester plusieurs jours sans adresser la parole à un humain. Et non… Ça ne me manque pas plus que ça… J’ai passé ma vie à communiquer. Parfois par choix, par conviction, souvent par obligation. Alors me taire, c’est un challenge reposant.
Un jour je vais mourir, j’y pense presque tous les jours. Je mourrai seul, puisque ma vie n’est plus balisée par les échanges directs, les rencontres et les rires partagés dans la vraie vie… Je vais mourir en ayant eu le temps je l’espère, de profiter des plaisirs égoïstes que je m’offre aujourd’hui pour croire que je peux repousser l’échéance du vide, pour échapper au « rien » qui m’habite et me hante.
Mais à part tout ça, ça va bien merci !
Une seule question m’affecte, qui s’occupera de mon chat ?
(C’est bizarre, la narration et le déroulé de ce billet m’ont totalement échappé…)
C’était en avril 92… J’avais réussi le concours de personnel de direction. Étant en poste et habitant Avignon, je l’avais annoncé à mes parents au téléphone, eux qui habitaient près de Béthune. Quand je suis allé les voir, début juillet, après les premiers bisous et mots échangés, Papa a posé sa main sur mon épaule et m’a simplement dit « Je suis fier de toi ! » J’ai bien vu qu’il avait les yeux qui brillaient un peu plus que d’ordinaire : il était ému… Et moi aussi. Papa était ce qu’on appelle un « taiseux ». pas très expansif… pudique. Peu de mots, mais tant d’intensité et d’amour dan ses paroles.
En janvier 2006, la sanction était tombée. J’étais révoqué, foutu à la porte de l’éducation nationale… L’affaire avait gonflé dans ce qu’on appelait alors la « blogosphère ». Les médias allaient en parler et mon nom allait être jeté en pâture. Mon nom et mon homosexualité. Alors j’ai pris le téléphone. Et j’ai tout raconté à mes parents. Je me souviens (douloureusement) de mes premiers mots : « Papa, Maman, je vous ai menti… » J’ai raconté la suspension depuis 3 mois, le mensonge de mon insouciance lorsque j’étais venu les voir pendant les vacances de noël… et je leur ai dit que j’aimais les garçons… Quelques jours plus tard j’étais à la maison. J’ai eu le soutien total de mes parents, qui m’ont reproché seulement d’avoir tardé à leur parler… Je leur ai expliqué le blog, l’atteinte à la dignité de la fonction, j’ai parlé de ma solitude et du réconfort que j’avais pu trouver dans les bras des garçons… Alors que j’étais monté dans ma chambre, papa m’a rejoint. Une fois encore, il m’a pris par les épaules et m’a seulement dit « tu sais, fille ou garçon, c’est important d’aimer et d’être aimé… » et il est ressorti.
Papa, orphelin de père à 5 ans. Papa, ancien militaire. Papa qui avait fait ses études dans un petit séminaire de Bretagne. Papa qui cochait toutes les cases pour être réac’ et qui était si attentif aux autres, si naturellement aimant. Papa n’était pas « démonstratif » mais une des images les plus anciennes que je garde dans ma mémoire, c’est celle de sa main droite, quittant le volant de la voiture, quelle que soit la destination et la durée du trajet, pour se poser sur celle de maman en lui murmurant « je t’aime »… Papa est parti il y a 12 ans, mais il est toujours là, bienveillant…
J’ai décidé d’écrire une série de 30 billets sur le thème « ma vie en 30 chansons ». Pas de chronologie, mais 30 chansons qui ont marqué /accompagné 30 moments importants de ma vie que je choisis d’évoquer à la volée… Après tout, je l’ai assez écrit : ma vie est un juke-box…
Fin du parcours… Un survol qui m’a permis de faire remonter des souvenirs, des étapes, des moments parfois drôles (pour moi), émouvants (pour moi), peut-être futiles ou inintéressantes pour ceux/celles qui auront eu la curiosité et/ou la gentillesse et l’indulgence de me lire… En tout cas, derrière tous ces souvenirs il y a de l’amour, reçu ou donné… Des souvenirs pleins d’amour que je garde précieusement au fond de moi…
1961 – Moreno : La Marmite
1964 – Barbara : Dis quand reviendras tu ?
1968 – Higelin/Fontaine : Cet enfant que je t’avais fait
1969 – Moustaki : Le facteur
1971 – Lama : Vivre tout seul
1971 – Marley : Sun is shining / Easy skanking
1971 – Streisand : One less bell to answer / A house is not a home
1972 – Pagani : Megapocalypse
1972 – Polnareff : Tout tout pour ma chérie
1973 – Le Forestier : Février de cette année-là
1973 – Sardou : Les vieux mariés
1977 – Presley : Way down
1977 – Minelli : NewYork NewYork
1978 – Commodores : Three times a lady
1978 – K Bush : The man with a child in his eyes
1978 – Essex : Oh what a circus
1980 – Abba :The winner takes it all
1983 – Birkin : Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve
1983 – Balavoine : Partir avant les miens
1984 – Dufresne : Je voulais te dire que je t’attends
1988 – Serra : The big blue
1996 – Dessay : Pâle et blonde
1997 – Radiohead : Exit music (for a film)
2004 – Tri Yann : Bro gozh ma zadoù
2009 – A. Keys : Empire state of mind
2010 – Farmer : Diabolique mon ange
2010 – Giorgios Alkaios & Friends : OPA !
2013 – Hozier : Take me to church
2016 – Souchon : Et si en plus y’a personne
2019 – Lizzio : Juice
Il y aurait plein d’autres chansons à citer, des chansons dans lesquelles je me reconnais… Mais de là à en faire des repères marquants… Et puis tout n’est pas avouable !
Je vais terminer cette évocation avec une chanson dont je détourne un peu le propos, car je n’ai pas l’âme d’un militant, d’un rebelle, encore moins d’un révolutionnaire… Mais je me souviens des yeux humides de Maman quand elle l’entendît pour la première fois en 1976… Elle trouvait que c’était un des messages les plus puissants qu’une mère pouvait adresser à son enfant, massage de confiance et d’espérance…
Juliette Gréco – Mon Fils Chante
Et puis, puisque je me suis si souvent caché derrière les mots des autres, merci à Sinatra pour ce « résumé » et cette « épilogue »…
…But now the days are short
I'm in the autumn of the year
And now I think of my life as vintage wine
From fine old kegs
From the brim to the dregs
It poured sweet and clear
It was a very good year
J’ai décidé d’écrire une série de 30 billets sur le thème « ma vie en 30 chansons ». Pas de chronologie, mais 30 chansons qui ont marqué /accompagné 30 moments importants de ma vie que je choisis d’évoquer à la volée… Après tout, je l’ai assez écrit : ma vie est un juke-box…
Breton du côté de Papa, normand du côté de Maman… Mais en fait, c’est Maman qui était la plus farouchement attachée à la Bretagne à la maison…
Quand Papa est parti (ça fera 12 ans dans quelques jours) la cérémonie religieuse a été organisée sous l’égide des Charitables, la confrérie traditionnelle de Bethune qui accompagne traditionnellement les familles dans la peine, lors des cérémonies. Cette tradition existe depuis le XIIème siècle, et quelle que soit l’origine sociale des familles, les Charitables sont là…
L’organisation de la cérémonie religieuse s’est faite à la maison. Le choix des textes, des prières, des chants… Pour la sortie de l’église, on a demandé à Maman quelle serait la musique choisie… Sans hésiter, Maman a choisi « Bro gozh ma zadoù ». Le seul sourire de la journée fut de voir l’inquiétude du représentant des Charitables qui craignait que retentisse dans l’église une musique… décalée. Il fut rassuré quand Maman précisa qu’il s’agissait de l’hymne breton. Il ne connaissait pas, mais « hymne » c’est un mot qui le rassurait…
9 ans plus tard, il a semblé évident, pour mon frère comme pour moi, qu’on ferait tout pareil : Papa et Maman unis symboliquement jusque dans les détails de la cérémonie. Et nous avons eu droit aux mêmes sourcils froncés quand on a annoncé que « Bro gozh ma zadoù » accompagnerait les Charitables portant le cercueil de Maman hors de l’église…
Dans l’idéal, le jour où je serai dans la boite, j’aimerais bien que cette musique retentisse une fois encore…
Tri Yann – Bro Gozh Ma Zadoù
Nous, Bretons de cœur, aimons notre vrai pays!
Renommé est l'Armor à travers le monde.
Bravement au milieu de la guerre, nos pères si bons,
Versèrent pour elle leur sang.
Refrain :
Ô Bretagne, mon pays, j'aime mon pays,
Tant que sera la mer comme un rempart autour d'elle,
Sois sans chaînes mon pays !
Bretagne, terre des vieux saints, terre des bardes,
Il n'y a pas d'autre pays au monde que j'aime autant.
Chaque mont, chaque vallée, à mon cœur est superbe,
Là repose plus d'un Breton ardent !
(Refrain)
Les Bretons sont des gens robustes et forts;
Il n'y a pas de peuple plus courageux sous les cieux.
Complaintes tristes, chansons charmantes germent là,
Ô que tu es beau, mon pays !
(Refrain)
Si la Bretagne a été vaincue dans les grandes guerres,
Sa langue est toujours aussi vivante que jamais.
Son cœur ardent bat encore dans sa poitrine,
Tu es désormais réveillée, ma Bretagne !
(Refrain)
J’ai décidé d’écrire une série de 30 billets sur le thème « ma vie en 30 chansons ». Pas de chronologie, mais 30 chansons qui ont marqué /accompagné 30 moments importants de ma vie que je choisis d’évoquer à la volée… Après tout, je l’ai assez écrit : ma vie est un juke-box…
Orléans. Hostens. Gujan-Mestras. Sarcelles. Saint-Dizier. Apt. Et, la carrière militaire de Papa s’étant terminée, installation à Béthune. De mon côté, quand mes parents ont quitté Apt, j’ai occupé pendant 2 ans une chambre en Cité U à Aix-en-Provence. Et puis j’ai habité L’Isle-sur-Sorgue. Bruay-en-Artois. Sarlat. Avignon. Saint-Étienne. Bordeaux. Le Havre. Mende. Ste-Geneviève-Des-Bois. Châtenay-Malabry. Cergy. Marseille près de la Timone, avant de déménager, dans un an et demi, à Marseille – Saint Loup… Ça fera 20 déménagements…
Mes parents ont pu imaginer acheter une maison quand Papa a quitté l’armée. Ce fut un coup de cœur pour une maison de village, proche de Béthune, une maison avec un jardin, une cave et un grenier. Et des lilas devant la porte… La maison fut baptisée « la Barbelotte », c’est à dire « la coccinelle » dans le patois normand…
Quelques années après l’achat de cette maison, mes parents apprirent que la mairie avait fait le choix de mettre la route qui passait devant chez eux « aux normes ». Cela supposait d’empiéter sur le jardin devant la maison, de casser le muret et la grille mais surtout de couper les lilas. Maman a eu l’idée (et le culot) d’inviter le maire à la maison et de lui faire voir et respirer les lilas qui, à cette saison, étaient encore en fleurs. Après cette visite, la route fut refaite mais bizarrement, le muret ne fut pas détruit. Le trottoir ne fait que 70 cm de large devant la maison, alors que la largeur minimale fixée par la loi est d’1,20 mètres. Mais c’est vrai que la rue n’est pas très passante…
Maman avait un rêve depuis toujours : avoir un grenier et pouvoir garder « des trucs », en quelque sorte construire une maison avec des souvenirs…
Au moment de vendre la maison en novembre 2019, mon frère et moi avons décidé de récupérer deux ou trois choses « symboliques ». J’ai en particulier récupéré la barbelotte en céramique qui était fixée sur le mur, à l’entrée de la maison… Mais tout le reste a été confié à une entreprise qui « vide les maisons » et envoie tout à la déchetterie. Toute la vie, la mémoire « physique » de notre famille a disparu en deux jours… Même si « raisonnablement » il n’était pas possible de faire différemment, savoir que des étrangers jetaient à la benne meubles, bibelots et souvenirs a été (et reste) un crève-cœur dont je ne suis pas totalement remis…
Pour ma part, mes déménagements successifs m’ont appris à faire régulièrement le tri dans les trucs et machins qu’on accumule et qu’on garde, au cas où… jusqu’au moment où on s’aperçoit qu’on les a laissés pendant 3 ans dans un carton et qu’on n’a pas ressenti de manque… Lorsque j’ai quitté Cergy pour m’installer définitivement à Marseille, je me suis trouvé dans l’obligation de faire du tri, des choix, de prendre la décision de me débarrasser d’un certain nombre de choses que j’avais en double. Le lit, des fauteuils, l’électro-ménager… mais aussi des cartons pleins de livres… Je me suis débarrassé de tous les bouquins liés à l’actualité que j’avais entassé sur mes étagères, des livres dont l’intérêt était devenu nul en 2019… Je me suis séparé de plus de 50% de mes bandes dessinées (que j’ai déposées au CDI de ce qui allait devenir mon ex-lycée)…
Je me suis refait ici, à Marseille, un cocon, un chez-moi plein de livres, de CD et de DVD ici à Marseille, un chez-moi avec une grande télé et des équipements audio de qualité, en me disant qu’il va bientôt falloir tout remettre dans des cartons. J’ai un chez-moi que je n’imagine pas autrement que « temporaire » parce que je n’ai pas l’ambition de laisser des souvenirs. Fort égoïstement, je me suis lancé dans un projet immobilier pour passer les dernières années de ma vie confortablement, avec une terrasse au soleil… Le reste m’indiffère un peu. Il n’y aura sans doute personne à qui transmettre un « héritage ». Je laisserais derrière moi un logement, pas un chez-moi…
A chair is still a chair, even when there's no one sittin' there
But a chair is not a house and a house is not a home
When there's no one there to hold you tight
And no one there you can kiss goodnight